Tyranotage

6 fév

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             Souriez, vous êtes noté ! À l’heure ou le “like” constitue la louange ultime, le comble du satisfecit, quels que soient votre QI ou vos manières de table, vous n’avez plus droit à l’erreur. Des frites tièdes, une toile d’araignée au-dessus de la table, un chauffeur mal rasé, une standartiste dans la lune, bim, le couperet tombe, inexorable.

             Drôle de monde que le nôtre. On s’insurge contre un système d’évaluation qui ferait flipper les collégiens et on dégaine à tout propos son Smartphone pour se noter  les uns les autres. 1, 2 , 3 étoiles, selon le degré d’humour et de tolérance du jour. Entre nous et l’hôtel du coin, même régime de faveur.

            Phénomène que Anne-Caroline Paucot, auteur d’un Dictionnaire du futur, baptise «tyranotage », et dont l’absurdité a été mise en scène avec brio par l’épisode Nosedive de la série d’anticipation Black Mirror. En Chine, pays des Droits de l’homme comme chacun sait, la réalité dépasse la fiction en lui faisant une queue de poisson. L’État va bientôt mettre en place un système moralisant de crédit social ouvrant droit ou non à inscrire ses enfants dans  une bonne école ou à obtenir un prêt immobilier : moyen de placer le citoyen sous étroite surveillance, et sur liste noire à la moindre incartade.

          La Gestapo n’est pas loin. Vous tardez à vous mettre au zéro déchet et au DIY, prenez l’avion à la moindre occasion et rechignez à héberger un migrant ? Gare à vous. La dénonciation vous pend au nez, prélude à la mort sociale.

         La guerre des étoiles est déclarée.

Jeanne Ably

Cancel culture

23 jan

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 Vous êtes en plein divorce?  Alertez Facebook. Une  captation d’héritage ? Faites un tweet. Un problème d’inceste ? Consultez Google. Vos friends jugeront de l’affaire.
 
Retour à la justice antique : l’Agora d’aujourd’hui est un lavoir où se lave le linge sale, à grand renfort de « like » et d’émoticones furieux. L’Héliée, tribunal populaire, siège en permanence sur la Toile, comblant notre appétit de ragots, notre furie de médisance, notre passion du procès, nos délires de vengeance.
Sur les réseaux sociaux, colères et malédictions se déchaînent et se partagent. L’adulte contemporain garde une nostalgie de la cour de récré. Il prend parti, et, tout à coup, « ne veut plus être ton copain ». Certaines causes l’enflamment à tel point que c’est à peine s’il attend de connaître le coupable pour le condamner à mort sur cette nouvelle place publique.
 
Le phénomène est récent, fraîchement débarqué comme par hasard d’outre-Atlantique. C’est la Cancel culture. Son résultat courant est d’anéantir quotidiennement tel ou tel, comme on annule une course Uber ou un achat Vinted. La victime se voit retirer son droit de penser, de s’exprimer, d’être, tout simplement. Son crime ? Il a bafoué les critères moraux imposés par le troupeau social. 
 
 Et c’est ainsi que les moutons se font juges de la brebis galeuse. Un clic suffit. Pas besoin d’avocat. Il perdrait du temps à étudier le dossier. L’avantage, c’est que désormais nous n’avons plus besoin de feuilletons, de séries Netflix, ni de télé-réalité. Le Loft est parmi nous, à tout instant, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tout à fait palpitant, sous forme de lynchage internet. Merci la fibre optique!
 
Certains trouveront toujours à en faire quelque chose, tel un Raphael Enthoven qui cite Tocqueville pour parler de tyrannie de la majorité. « De ma fausse terrasse, j’observe, comme à l’Opéra, des discours antagonistes produire des comportements souvent identiques. » Ce qui est sûr c’est que le mouton moderne, pour faire ses crottes, broute moins d’herbe que de clics.
 
Suzanne Ably
image copyright: the justified sinner

Flygskam

16 jan

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        Circuler dans les airs ? Pouah ! Bouh !  Fini le road-trip à l’autre bout du monde. Fini les vacances au soleil à Noël. L’homo touristicus éprouve soudainement un malaise en provenance du pays de sainte Greta : le « flygskam » (comprenez la honte de prendre l’avion).

        S’habiller vintage et trier ses mails, oui. Arrêter le bœuf en répétant à ses « kids » (ceux qu’on n’a pas pu s’empêcher d’avoir) que “chaque petit geste compte“, très bien. Encore faut-il surveiller son empreinte carbone, puisqu’on a appris ce que c’est.  Notre ami le Bobo, prêt à tout pour sauver la planète, façon pour lui de sauver son âme, redécouvre les joies du train pour aller courir à deux pas de chez lui la micro-aventure : randonnée pédestre en forêt de Rambouillet, descente en canoë dans  le Loiret. 

        La France regorge de trésors, sans compter ses trésors de patience. Bravant tous les obstacles, affrontant tous les dangers, la grève, les retards de quatre heures, les pannes, les suicides sur la voie, les manifs sur les rails, l’humeur des contrôleurs, les haut-parleurs inaudibles, le bain de foule, la promiscuité, l’ignominie de la place numérotée, etc., le Bobo ferroviaire fait mieux que tout le monde, même s’il fait comme tout le monde. 

       Il reste bienveillant, poli, serein. Son chemin de Croix lui laisse au moins le temps de réfléchir et de faire son examen de conscience en regardant défiler le paysage. Ne croyant plus à grand-chose, il doit bien se raccrocher à quelque chose. Ce sera donc l’écologie, la nouvelle religion qui transporte les foules. Elle le fait mieux que le TGV. Moins nocivement qu’un Boeing. Et quelle thérapie collective !

Jeanne Ably

Cagnotte

4 oct

banque-d-images-gratuites-libres-de-droits120Mort du cadeau, place aux  cagnottes.  C’est de notoriété sociale : Leetchi, plateforme en ligne, vous facilite la vie. Plus la peine de vous lever de votre canapé ni de vous creuser la tête pour trouver l’objet à offrir. En deux clics, l’affaire est dans le sac. Pot de départ de la stagiaire, retraite du DRH, anniversaire du gardien d’immeuble, votre carte bancaire a réglé le problème.
        Et pas question d’oublier qu’on compte sur vous : Whatsapp et autres messageries sont là pour vous  le rappeler, et elles le font souvent. Ce que c’est que d’être populaire.
        Mieux, Leetchi vous a nommé sponsor de vos potes. À vous l’honneur de financer leurs projets, extension d’un loft, aménagement de combles, trekking en baie d’Halong ou dix kilomètres à la nage.  Si vous donnez gros, vous aurez l’avantage non pas d’être remercié (coutume préhistorique) mais de voir affichée votre participation, indice de votre réussite sociale. 
        Jadis, il était jugé indélicat de laisser le prix sur le cadeau.
Aujourd’hui le cadeau, c’est le prix.     

       Chacun y gagne. Si tout se fait aux frais de la princesse, c’est que nous sommes tous princesses. On a du pot, il est commun et il est mis en ligne. Grâce à quoi la solidarité se veut universelle, et quand on prend du bon temps, c’est si possible au profit d’une espèce menacée.
       L’espèce la plus menacée c’est vous, qui n’avez plus un rond. Mettez en ligne une cagnotte pour renflouer vos finances. Ce sera la cagnotte au profit du ruiné des cagnottes. 

 
Jeanne Ably
 

Whatsapp

12 sept

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Cinquante notifications à la seconde, trois nouveaux groupes par jour, un paquet de nouveaux amis. Grâce à Whatsapp, plus de crainte de se sentir seul ou coupé de la marche du monde. Il y aura toujours quelqu’un – sœur, cousin issu-de-germain, pote de pote, voisin d’immeuble, collègue de bureau – pour vous informer « en temps réel » (comme disent ceux qui veulent dire en direct) de sa dernière biture et des prévisions météo pour demain.

Anniversaire surprise, apéro de dernière minute, “épisode caniculaire”, cagnotte leetchi de belle-maman, gastro du petit Anatole, tous les prétextes sont bons pour créer une énième « boucle ». Objectif ? Rester connecté aux autres vingt-cinq heures sur vingt-quatre en cultivant le sentiment qu’on fait partie de la bande. Pour mieux dire : combler le vide, en prenant bien soin de ne pas en oublier un centimètre cube, tout en participant au débat pour la gloire de balancer un max d’infos (histoire de montrer qu’on est là, houhou !)

Contrairement à Facebook – décidément has been – ça reste entre nous. Alors pourquoi se gêner. Liens d’articles, photos de rentrée, pain de soja réussi, tout y passe, l’utile comme le futile,  pourvu qu’on se marre et qu’on puisse s’échanger l’assurance qu’à défaut de se voir en vrai, on s’adore.

De loin, mais à grand renfort d’émoticônes. Car on est potes, mais il y a des limites. S’inviter à dîner ? Pas que ça à faire.

Jeanne Ably

Jeunior

15 mar

©  CBS BROADCASTING STUDIOS INC. ALL RIGHTS RESERVED

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Il porte des Nike, s’essaie au yoga tantrique, tente le Qi gong. Il mange vegan, consomme responsable et déchette recyclable. Le bobo ? Non, le « jeunior », contraction de jeune  et de senior. Ce néologisme désigne un troisième âge triomphant, corporation hédoniste, fille des trente glorieuses et de Mai-68, qui a remisé pelotes de laine et Sudoku pour courir le monde en quête de tourisme équitable. Nés avec une cuiller Puiforcat dans la bouche, habitués à jouir sans entraves, ces juvéniles vieillards considèrent d’assez haut une progéniture qui galère en chambre de bonne pour décrocher un CDI. De tels busy boomers sont d’ailleurs aussi bien dans leurs baskets et sous leurs cheveux blancs que dans leur compte sur livret. Moyennant quoi le plaisir est leur règle d’or, leur principe sacré. Revendiquant le droit à l’égoïsme, une priorité les obsède : passer du bon temps. Pour mieux dire : s’éclater. D’accord pour vieillir, mais en forme et au soleil ! 

Fan des réseaux sociaux, d’ailleurs ultra-équipés, ces hyperactifs s’exhibent sur leur wall où pullulent les photos de leur dernier trek au Népal. Friands de séries tv, ils mattent Netflix sur leur IPad. Les autres soirs, ils sont au ciné pour le dernier film primé aux Césars. Leurs petits-enfants les appellent Mana, Pady ou Mamilou. C’est beaucoup plus cool que bonne-maman ou grand-père. Les petits chéris ont eux-mêmes été rebaptisés Chicouf  (Chic, ils arrivent ! Ouf, ils repartent !) Ces cocos sont bien gentils, mais on a autre chose à faire. Pas question de trop se « grand-merder » pour eux.

Jeanne Ably

Briend

22 mar

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Au boulot, sur le Net, et maintenant en politique, tutoiement de rigueur !  À l’heure où l’américanisme et le globish gangrènent le langage à grand renfort de « burn out » et de « fake news », le vouvoiement se ringardise. 

           Ainsi gagne l’esprit start up dans l’open space, et pas seulement chez les publicitaires et journaleux  en running et hoodie (traduisez sweat à capuche). Abolies les hiérarchies entre patron et secrétaire, entre cadre supérieur et p’tit stagiaire, il s’agit désormais de brainstormer à l’unisson autour d’une partie de baby foot et de s’enjailler (approximative contraction d’enjoy et de s’amuser) au rade du coin.  

          Même constat sur les plateformes en ligne type Vinted où l’on te remercie pour ta commande et te dit salut en t’appelant par ton p’tit nom.  Chez Apple ou Ikea, le service après- vente propose, après trente secondes de bla-bla, de poursuivre à la deuxième personne du singulier, histoire de faciliter la communication. On est potes, pas vrai ? Usage baptisé briend (contraction de brand et de friend) et qui en dit long sur la frénésie de l’homo ludens à vouloir de la « coolitude » à tout prix.  

         Accro aux réseaux sociaux, l’homme politique s’y met.  Sarko ouvrit la voie avec son célèbre « Casse-toi pauv’ con ! » qui lui valut d’être définitivement rangé dans la catégorie à dégager. Il fut suivi par Bernard Kouchner, taxé de colonialisme par suite d’un « J’ fais c’que j’veux, mon gars » lancé à l’ »humoriste » Yassine Bellatar sur France 2. Même punition pour notre Président en poste, dont le « bordel », qualifiant l’accueil houleux que lui faisaient les salariés d’une entreprise, a créé un tollé

         L’Église catholique s’est mise à tutoyer Dieu. Elle va peut-être l’appeler par son prénom. Triomphe de Vatican II, ou de Mai-68 ? Victoire des tenants de l’égalitarisme, en tout cas.  Désagrégation des barrières sociales, haine du pouvoir (des autres), rejet de l’autorité : voilà le catéchisme d’aujourd’hui. Difficile d’entrer en dissidence.  La religion du « tu » s’étend.

Jeanne Ably

 

« Besoin d’amour »

18 jan

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France Gall nous plante là, début 2018, avec en cadeau d’adieu ce refrain des années 80 qui sonne comme un appel au secours, comme si l’homo connectus était un terrien en détresse.

Pourtant notre génération « Petits Mouchoirs » ne lance pas de SOS. Elle sait que le Bien vaincra, et fait face au malheur avec encore la même arme que ses parents soixante-huitards : l’amour. « Faites l’amour, pas la guerre ».

Le baby-boomer des Trente Glorieuses, enfant pourri-gâté de l’Histoire, a échappé aux tempêtes du siècle. Sa génération « lyrique » (suivant le titre d’un essai magistral du Québécois François Ricard), a donc élevé le bien-être au rang d’impératif sacré et ses enfants dans l’évidence du bonheur : pas question de s’encombrer la tête d’autre chose que du plaisir, la seule idole digne de culte, le seul totem présentable (venu d’Amérique comme par hasard) c’est Bisounours.

Et aujourd’hui les occasions foisonnent pour l’homo festivus de dire sa joie. Anniversaires, mariages, remariages, démariages, reremariages – autant de grands-messes qui se célèbrent en se répétant qu’on s’aime et que c’est bon de s’aimer — avec quelques substances, on le dit plus vite qu’on ne le pense.

Même le deuil permet de se le redire entre potes ou entre Charlies buvant des bières. « Ils ne nous auront pas, puisqu’on s’aime. » Depuis le début de cette année, 4 207 cœurs ont été envoyés sous forme d’emoticônes à une foule de connectés qui s’en sont trouvés ravis. Le cœur, symbole d’amour. Le cœur, organe qui bat mais le fait sans violence : quel trésor !

Suzanne Ably

Le touriste

22 nov

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Il se déplace en circuit fermé, sous prétexte de s’ouvrir au monde. Il s’équipe des « technologies » les plus pointues, pour aller prendre ici et là les mêmes clichés que tout le monde. Il se désaltère dans le Starbuks du coin entre deux musées. Vous l’avez reconnu, il est le touriste « de masse », devenu l’ennemi honni, le mal aimé, le maudit dont le nom seul est une souillure qui suscite l’ire de l’autochtone vénitien ou barcelonais désormais allergique à la valise à roulettes, monstre rampant d’un nouveau genre.

Jadis synonyme d’apprentissage intellectuel et de gymnastique de l’âme, le voyage a changé de nature à l’heure du bougisme systématique et des compagnies low-cost. S’amplifiant et s’industrialisant, il est devenu impératif culturel et pire encore :
« destructeur de civilisation », au dire d’Alain Paucard, auteur du merveilleux Cauchemar des vacances et président à vie du très sélect Club des Ronchons.

Soucieux de vérifier ce qu’il a lu dans la dernière édition du Lonely Planet, et surtout inquiet de n’avoir rien à raconter en septembre à ses collègues de l’openspace, l’homo touristicus, loin de pratiquer l’art du staycation, se fait un devoir de déserter la villa de famille pour aller au diable remplir ses  devoirs de vacances :  cours de salsa à Cuba, séance de méditation au Cachemire, trek en Namibie, visite des bordels de Bangkok, cri primal à Vienne et orgie de sangria à Séville. Il ne laisse rien au hasard dans cette course effrénée à la distraction.  Smartphone à la main et running aux pieds, le nouveau globe-trotter hyperconnecté n’a qu’une obsession : rentabiliser son séjour en instagramant un maximum de monuments classés. Même constat touchant le backpacker, ce routard soi-disant éclairé qui se fait un point d’honneur d’éviter les sentiers battus, mais dont l’itinéraire bis finit toujours par rejoindre celui du touriste en short et strings de pieds. 

Affichant un air supérieur et une moue blasée, il est  le premier à demander le code wifi dès le seuil de la moindre auberge, à remplir sa valise de dvd pour tuer les temps morts à l’étape et à s’éclater sur le dance floor, devenant à son tour la bête noire des populations locales et prouvant par l’exemple ce qu’a dit en son temps Jean Mistler (de l’Académie française) : « Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux. » À bon entendeur.

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Jeanne Ably

Story

6 nov

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Société du paraître et dictature du like : aujourd’hui l’homo Narcissus se doit, sous peine de mort sociale, de raconter des histoires. Le phénomène a été mis en évidence par François Taillandier dans La Grande Intrigue, magistrale fresque de cinq romans où l’écrivain forge un concept pour exprimer cette réalité : le telling est la colonne vertébrale narrative de l’homme moderne, qui n’est pas sans faire écho au bien connu story telling, nom flatteur du baratinage.

Comment raconter une histoire pour mieux vendre ou se vendre au mépris du réel ? Jadis apanage des publicitaires et autres marketteux sans scrupule, ce souci se répand grâce aux réseaux sociaux qui font de chacun, à peu de frais, le « storytelleur » de sa propre existence. Le tout est de se placer au bon endroit, au bon moment, sous la bonne lumière et dans le bon costume, quitte à reprendre trente-six fois la pose. 

Rien est abandonné au hasard dans cette course à la vie de rêve. Dernière fonctionnalité en vogue : les stories d’Instagram dont la simple appellation en dit long sur ce besoin aussi nouveau que frénétique de se mettre en scène. Véritable plongée sous-marine dans le train-train de Monsieur et Madame Tout le monde, ces minifilms de dix secondes agrémentés d’émojis, de stickers, de stylos, de filtres et autres quincailleries de la palette Photoshop hissent l’adulescent décomplexé à la dignité d’une pub pour Club Med ou du dernier Ideat. 

S’exposant sans répit sept jours sur six aux quatre coins du monde en compagnie choisie, l’homo instagramus satisfait son ego surdimensionné grâce à ces joujoux qui lui permettent de s’attirer les convoitises de ses friends en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas aux yeux de la selfie sphère. 

Vingt-quatre heures d’une vie de star, telle est l’ambition de ces Dorian Gray des temps virtuels idolâtrant leur propre image et soucieux de se convaincre que la vie est un truc de maboul. Même les célébrités s’y mettent à plein temps, qui s’affichent dans leur plus stricte intimité, cassant le boulot des paparazis et des magazines people bientôt réduits au chômage. Pour ne pas balancer, ne parlons pas de Laetitia Halliday, dont les recettes de cake au Carambar et les vacances à Saint-Barth n’ont de secrets pour personne.

Se regarder vivre sur un écran plutôt que de goûter l’instant qui passe, tel est le mot d’ordre. Au lieu de câliner sa progéniture, l’homo Narcissus la mitraille du bout de son portable. Plutôt que d’admirer le paysage, il dégaine son IPhone. Il n’est plus l’acteur, mais le spectateur frustré de sa vie, une vie réduite à l’état de reflet sur la toile. Impression de solitude. Sentiment de gâchis. Triste destinée.

Jeanne Ably

PN

27 sept

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Puff Daddy, Sarko, Vincent Cassel dans Mon Roi de Maiwenn. Ajoutez votre voisin de palier : tous des PN (pervers narcissiques, en jargon psy). À la fois arrivistes, manipulateurs, menteurs, jaloux, égocentriques, mégalos mais aussi charismatiques, intelligents, enjôleurs, drôles et sociables. Avec eux on s’amuse. Ces prédateurs sans foi ni loi sont partout. Pas un magazine branché ou un site d’information qui ne tire la sonnette d’alarme pour mettre en garde contre ces dangers publics, proposant des tests savants pour mieux les démasquer. Modus operandi du PN : rendre accro sa proie en illuminant son quotidien par un feu d’artifice permanent. Témoins vos sœurs, copines et collègues de bureau qui toutes, sans exception, se plaignent d’être tombées dans le piège. Même vous, en y réfléchissant, vous vous demandez si votre mec, hein ? sous ses airs de gendre idéal, avec ses façons de séduire votre entourage et de vous couvrir de cadeaux à la moindre occasion…

Bien plus machiavélique et carnassier que le énième « salaud » rencontré sur Tinder, lequel bornera ses méfaits à ne plus donner signe de vie après consommation, le PN, tartuffe des temps modernes, vous humilie, vous vampirise, vous lessive, vous essore au jour le jour, jusqu’à vous conduire au burn-out. Objectif : vous détruire socialement en faisant le vide autour de vous. C’est sa manière à lui d’exister et de faire prospérer l’estime qu’il a de soi .

Mal du siècle ? Effet de mode ? Les experts et diseurs de vérités officielles expliquent la prolifération de cette espèce hautement toxique par un rapport à autrui de plus en plus utilitaire. Ils y ajoutent une culture de l’hyperconsommation qui pousse l’enfant-roi devenu adulte – et élevé par une mamounette – à séduire tout ce qui bouge afin d’apaiser un besoin frénétique de reconnaissance. Le père de ce maniaque, il faut le dire, est bien trop occupé à se snapchatter  et à jouer les super-héros ou les travestis dans des soirées déguisées pour se soucier de sa progéniture…

Reste que le fantasme de la nana moderne c’est le bad boy tendance caniche. Un mec tatoué, un repris de justice, un vrai méchant, si on est sûre qu’il poussera la poussette et qu’il changera les couches. Mais l’heure tourne. Joey Starr vous a posé un lapin ? Du balai, sale pervers !

Jeanne Ably

Hand spinner

7 juin

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On peut y voir la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, la galaxie, Sisyphe et son éternel recommencement sans aboutissement à prévoir.

Les Pipelettes y voient d’abord que la toupie, reine des récrés et principale occupante de la poche des enfants, a cru bon, en changeant de forme et de matière (beau plastique made in China programmé pour casser), de s’affubler d’un nom venant sans doute plus de chez Mickey (Rourke) et Donald (Trump) que des tragédies de Shakespeare.

Qu’importe, le monde tourne et le hand spinner continuera de le faire – sur lui-même et autour du soleil.

Suzanne Ably

 

Boubour

24 mai

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Retour aux sources et mort du politiquement correct ! Désormais on ne se gênera plus pour aimer les grosses bagnoles et l’andouillette sauce moutarde. Fatigué de ravaler ses grivoiseries face aux auditoires Nuit Debout et Mariage pour tous, le boubour (contraction de bobo et de bourrin ) se révèle intolérant à la pensée unique, tout comme le bobo au gluten.

Finies les retraites de méditation au thé vert, abandonnées les missions humanitaires dans les jungles du Nord-Pas-de-Calais. Tandis que d’autres prônent la mixité tout en inscrivant leurs chers petits dans des cours privés hors de prix, le boubour se la coule ostensiblement douce. Il passe ses vacances sur un yacht, porte des costards à dix mille euros pièce et se chausse chez John Lobb. Pur produit d’une droite décomplexée, symbole de la fachisation galopante qui a sacré Donald Trump, type accompli du miracle américain, et qui a failli nous valoir François Fillon, adepte des courses automobiles, l’hédoniste dernier cri ne craint d’afficher ni sa couleur politique, ni surtout ses instincts de dragueur, aussi honnis soient-ils.

Balayés les idéaux socialistes de respect et de justice sociale, incarnés par des modèles aux mœurs aussi pures que DSK et le président à scooter. L’heure est au machisme insolent, autant dire à la frime. Ce qu’il faut c’est laisser libre cours à ses instincts, swiper sans scrupules, se la coller à grand renfort de Ruinart millésimé, exhiber ses pectoraux en acier et ses mollets de centurion. Les années 70 furent une ère de “libération” où la femme s’en remettait à Moulinex plutôt que de s’instagramer dans une Womens March, et vivait dans l’obsession quotidienne d’amortir sa pilule. Nostalgique de ce temps, et amateur de sensations fortes, notre « connard d’hétérosexuel » (pour parler comme Beigbeider, chantre de la boubouritude) remate en boucle les films de super-héros et raffole du métal, ainsi qu’en témoigne la tragédie du Bataclan, où  s’était donné rendez-vous le tout-Paris bobo pour applaudir Eagles of Death Metal, groupe dont  le leader s’est toujours proclamé haut et fort pro-gun et anti-avortement.

Jeanne Ably

 

Breadcrumbing

16 mai

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Breadcrumbing : littéralement «jeté de miettes de pain», ou comment faire mariner sa victime en lui donnant des nouvelles au compte-gouttes. Qui plus est, du bout des doigts. 

Méthode de séduction masculine vieille comme le monde mais qui connaît un regain à l’ère du téléphone mobile. Un like tous les quinze jours pour entretenir la flamme, un SMS  à 4 heures du matin pour faire renaître l’espoir. Pourtant hyperactif sur Messenger et Whatsapp, Don Juan se garde d’en donner plus. 

Hyperconsommation de l’amour rendue possible par les applications de rencontres qui champignonnent aussi profusément que les bars branchés. Tinder, Happn, Once :  au supermarché de la chair fraîche, le mec change de petites copines comme de marques de  yaourt, balançant dans son Caddie toutes ses envies du jour. Mieux encore, il géolocalise ses proies pour être sûr d’avoir quelque chose à se mettre sous la dent, vite fait bien fait. 

Jouir sans entraves, surtout jouir sans avoir à rendre de comptes ni se donner trop de peine :  has been l’alexandrin, le sonnet, la sérénade. Il suffit désormais de swiper (glissement du doigt vers la droite ou la gauche) pour  sélectionner la promo du jour et profiter des « date courte ». Quitte à rejeter le produit avarié.

Les yeux rivés sur son Smartphone, la jeune fille n’espère plus qu’on lui compte fleurette ni qu’on lui lance des œillades. Au lieu de se laisser draguer dans le métro ou à une terrasse, elle reste à se faire «liker» devant son écran, en quête d’un maximum de « match ».  

Réchauffés, l’amour et le hasard. 

Résidus de micro-ondes. 

Il faut désormais du prêt à consommer, ici et tout de suite.

Jeanne Ably

Shelfie

23 fév

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            Ringard le selfie, place au shelfie ! 

            Sous le règne absolu du moi-mêmisme, les « likes » deviennent la raison de vivre de l’homo instagramus  : son seul moyen d’exister nonobstant un charisme parfois équivalant à celui d’une huître. 

            Tout est prétexte à instagramer pourvu qu’on y gagne un maximum de followers : son assiette, ses doigts de pied, sa plante verte assortie au canapé. Et maintenant sa bibliothèque, preuve qu’on est cultivé, comme si ça ne se savait pas, depuis le temps.  

            Contraction de shelf (bibliothèque) et de selfie, le shelfie désigne l’acte hautement performatif consistant à mitrailler sa bibliothèque en exhibant du même coup son intérieur design. Pratique si bénéfique que certaines instagrameuses ont dédié leur compte à leur sacro-sainte bibliothèque. Proclamées shelfie queens par les internautes, ces pro du rangement passent des journées entières à agencer leurs rayonnages et à trier leurs livres par taille et par couleur, ou encore façon « rainbow ». Pour n’en citer qu’une, la Britannique Alice Sweet qui comptabilise jusqu’à 12 809 likes pour un seul cliché sur son compte sweetbookobsession.

             Drôle de monde que le nôtre où la gloire se mesure au nombre de « J’aime ». Les attributs qu’on s’évertuait à posséder jadis semblent devenus obsolètes.  La beauté ? Accessoire. Le mérite ? Facultatif. L’esprit, le talent ? Encombrants. La sainteté ? Inconnue au bataillon. Une œuvre ? Inutile. Le mystère ? Le moins possible. Aujourd’hui, une BB ou un Gainsbourg ne feraient pas carrière sans iphone 6.

Jeanne Ably

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