Tag Archives: adulescent

Story

6 nov

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Société du paraître et dictature du like : aujourd’hui l’homo Narcissus se doit, sous peine de mort sociale, de raconter des histoires. Le phénomène a été mis en évidence par François Taillandier dans La Grande Intrigue, magistrale fresque de cinq romans où l’écrivain forge un concept pour exprimer cette réalité : le telling est la colonne vertébrale narrative de l’homme moderne, qui n’est pas sans faire écho au bien connu story telling, nom flatteur du baratinage.

Comment raconter une histoire pour mieux vendre ou se vendre au mépris du réel ? Jadis apanage des publicitaires et autres marketteux sans scrupule, ce souci se répand grâce aux réseaux sociaux qui font de chacun, à peu de frais, le « storytelleur » de sa propre existence. Le tout est de se placer au bon endroit, au bon moment, sous la bonne lumière et dans le bon costume, quitte à reprendre trente-six fois la pose. 

Rien est abandonné au hasard dans cette course à la vie de rêve. Dernière fonctionnalité en vogue : les stories d’Instagram dont la simple appellation en dit long sur ce besoin aussi nouveau que frénétique de se mettre en scène. Véritable plongée sous-marine dans le train-train de Monsieur et Madame Tout le monde, ces minifilms de dix secondes agrémentés d’émojis, de stickers, de stylos, de filtres et autres quincailleries de la palette Photoshop hissent l’adulescent décomplexé à la dignité d’une pub pour Club Med ou du dernier Ideat. 

S’exposant sans répit sept jours sur six aux quatre coins du monde en compagnie choisie, l’homo instagramus satisfait son ego surdimensionné grâce à ces joujoux qui lui permettent de s’attirer les convoitises de ses friends en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas aux yeux de la selfie sphère. 

Vingt-quatre heures d’une vie de star, telle est l’ambition de ces Dorian Gray des temps virtuels idolâtrant leur propre image et soucieux de se convaincre que la vie est un truc de maboul. Même les célébrités s’y mettent à plein temps, qui s’affichent dans leur plus stricte intimité, cassant le boulot des paparazis et des magazines people bientôt réduits au chômage. Pour ne pas balancer, ne parlons pas de Laetitia Halliday, dont les recettes de cake au Carambar et les vacances à Saint-Barth n’ont de secrets pour personne.

Se regarder vivre sur un écran plutôt que de goûter l’instant qui passe, tel est le mot d’ordre. Au lieu de câliner sa progéniture, l’homo Narcissus la mitraille du bout de son portable. Plutôt que d’admirer le paysage, il dégaine son IPhone. Il n’est plus l’acteur, mais le spectateur frustré de sa vie, une vie réduite à l’état de reflet sur la toile. Impression de solitude. Sentiment de gâchis. Triste destinée.

Jeanne Ably

La vie en co

19 jan

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                       Venant du latin cum (« avec »), le préfixe co connaît son heure de gloire sous l’impulsion des sites de partage et autres initiatives collaboratives.  À l’heure où boire un verre en terrasse est une menace à peine moins grave que le gâteau fait maison (désormais banni des fêtes de classe dans les écoles publiques) ou que le plat 100% gluten servi aux tables amies, une priorité absolue : recréer du lien social, moyennant des plateformes qui mettent l’accent sur la notion de confiance.

                      C’est ainsi que l’adulescent optera pour le coliving, variante de cohabitation droit débarquée des Etats-Unis et consistant à vivre en communauté sans trop avoir à subir les odeurs intempestives émanant de son colocataire. Avec, en prime, un ingénieur social, sorte de chef de dortoir chargé d’organiser des activités de groupe et d’assurer cohésion et harmonie entre des résidents résolument nostalgiques de leurs chambrées de pensionnat.  Mieux que l’autostop, en tout cas plus prudent, le covoiturage donne l’occasion double, comme chacun sait, de réduire ses frais de bougisme et de partager des moments de griserie avec de belles personnes, toutes générations confondues. Dans le monde magique de la sharing economy, plus question de déprimer seul chez soi entre ses quatre murs. Les coffices ( contraction de coffee et d’office ) accueillent, à côté des espaces de coworking qui fleurissent dans les zones urbaines, les freelances, solopreneurs, slashers et autres travailleurs nomades sans bureau fixe.  Moyen efficace d’éviter, non pas le burn-out, en vogue dans nos sociétés d’hypocondriaques, mais le bore-out, épuisement professionnel dû à l’ennui. Car la cocotte en papier et les post-it ne suffisent plus. L’heure est grave. Le bureaucrate est en danger.

Jeanne Ably

Fobo

13 avr

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            Nouveau fléau générationnel, loin devant les MST ou la courbe du chômage : le Fobo, de l’anglais « Fear Of Beeing Offline ».
Révolus les temps lyriques où l’on cherchait un mot dans le Petit Robert en regardant l’heure  à son poignet. Aujourd’hui le monde se divise en deux catégories : ceux qui captent et les autres, les parias, pas fichus de googeliser en temps réel, faute de pouvoir se payer la 4G.

            Cousin germain du Fomo, qui consiste, rappelons-le, à lorgner son voisin du haut de sa fenêtre virtuelle, ce syndrome 2.0 désigne en langue moderne la crainte  d’être déconnecté ( et donc celle de rater une expo hypeeeeeer importante ). 
 Checker ses mails et son feed Instagram au réveil, et même au beau milieu de la nuit, des fois qu’on aurait oublié de forwarder l’event à l’ensemble de ses friends. Liker un maximum de photos en un minimum de temps – y compris un portrait du chaton du voisin de la copine de son oncle. Former des phrases de 140 caractères, pas un de plus, en les ponctuant de hashtags aussi divers et variés que #instamood #lifeisbeautiful #workinprogress#jesuischarlie#nofilter : sans wifi, point de salut. Vous espériez secrètement vous sevrer en zone libre ? Foutaises ! En rase campagne comme à la ville, interdiction formelle de se déconnecter, sous peine de mort sociale immédiate. Une voie de recours : les « digital detox », autrement dit les vacances déconnectées, qui proposent, moyennant un gros chèque, de se voir confisquer, à l’entrée du camp de désintoxication, portable, tablette, ordi et autres objets diaboliques. Au programme des activités compensatoires,  batailles de polochons, concours de rire, jeux d’action et vérité, ateliers de cuisine pieds nus, école buissonnière et même danse sous la lune. Sans oublier, bien sûr, quelques ateliers de coloriage, où s’éclatent particulièrement nos adulescents en chute libre.

Jeanne Ably

La revanche du super-héros

30 août

                Révolution au cinéma, le justicier costaud n’a plus rien à envier à Élodie Bouchez ni à la muse de Ken Loach. Il les a remplacés dans le cœur du branché. Has been, le dépressif anorexique d’Almodovar ! Rendu à son triste sort, le looser new-yorkais à états d’âme ! Fini, le snobisme antiblockbuster ! Pour créer l’émoi, plutôt que de raconter le dernier film japonais sous-titré coréen enduré l’autre soir sur écran plat en sirotant sa soupe miso, mieux vaut proclamer qu’on est allé voir le dernier Batman .

               L’adulte s’étant mué en adulescent, il délaisse les cause sociales, jugées rébarbatives, pour les héros de son enfance. Lesquels se distinguent par une cuirasse en plastoc incassable, par une capacité à voler sans avoir pris de cours de parapente, et par une schizophrénie sur laquelle les freudiens pourraient aligner des thèses.

              Et pendant que le bobo français blablate, son homologue américain agit.

             Aux États-Unis, la mode  fait rage : devenir l’un deux. Pas un psychanalyste freudien, non. Mais un de ces héros qui sauvent des vies fictives, faisant au besoin quelques cadavres réels (tuerie du Colorado).

             Il est possible là-bas de tomber sur Superman ou Speederman au bas de chez soi  — et même, avec de la chance, sur une Catwoman aussi sexy qu’Halle Berry. Ces personnages désormais courent les rues. Sous leur panoplie se cache la frustration de ne pas pouvoir plus souvent rigoler en habit de lumière, et sans doute un refoulement de.justiciers avides de distribuer cotons-tiges et paquets de chips aux miséreux. 

            Il est vrai que dans leur costume et sous leur masque, le prestige est assuré. Plus besoin de faire des miracles. L’allure suffit.
Si Jésus avait porté un loup noir et des oreilles de rat, il aurait fait carrière.

Suzanne Ably

 

Skate

27 avr

Le nouveau moyen de locomotion du quadra  : le skate board.  À l’aise dans ses Jordan et son sweat à capuche, l’adulescent  rêve d’échappées sur l’asphalte et de rampes sauvages. Résultat, il pique la planche de son fils et prend des cours de skate les samedis après-midi. Et c’est tipar !  Adieu Code de la route et lois RATPiennes, c’est les deux pieds sur ses roulettes que notre héros des temps modernes fait désormais ses courses, se rend au bureau et peaufine sa tournée des bars.

Hier on le voyait à trottinette, demain il sera en poussette. Son credo : sois fash et tais-toi.

Phénomène urbain que répercutent la musique, la mode et la photographie. Témoin la Gaîté-Lyrique, haut lieu de branchitude parisienne qui lui consacrait l’an dernier une exposition sous la houlette de Pedro Winter, manager du label ED Banger. Cet homme aurait été sauvé par le skate, dit-il. Idem pour les mannequins en vogue, qui se bousculent pour poser nues pour le projet Supermodel Skateboard, dont les pièces se vendent comme des petits pains. Quant à  la chiquissime Maison Hermès, elle roulait déjà sur la tendance naissante en proposant sa collection 2010 moyennant une séance de “fingerskate”. Née dans les cours de récréation, cette discipline prévoit qu’on fasse de la haute-voltige à l’aide de ses dix doigts et d’un skateboard miniature.

Jeanne Ably

 

 

L’adulescent

23 juin

        Il porte des baskets Nike tricolores, couvre le buffet dans ses soirées de bonbons Haribo et parle verlan. L’adulescent – contraction d‘“adulte” et d‘“adolescent” – est comme ces grands-mères qui ont remisé leur tricot pour courir le monde en quête de tourisme équitable. Il refuse de vieillir. Fan des séries tv qu’il matte en boucle sur son écran plasma, il voue un culte aux héros de son enfance, Spiderman ou Bécassine, et joue à la Play-station prostré sur son canap. Il adore se déguiser et pique leurs places de concert à ses ados d’enfants qui sont, par ailleurs, devenus ses “friends” sur Facebook. C’est la confusion des âges aggravée de la confusion des sexes. Tandis que le mari moderne pousse des poussettes et claque des bises entre copains, sa femme boit de la Leffe au goulot et se met à la boxe moyennant un soutif à coques d’acier.
       Et voilà que les petites filles portent des talons hauts, et s’envoient sms sur sms sur des cellulaires dernier cri.

Jeanne Ably

Casting Mère/fille

30 mar

Léontine, 12 ans et sa mère, Madeleine, 32 ans

 

Si l’adulte aujourd’hui est bien dans ses Nike tricolores, c’est qu’il s’en donne les moyens. Il se berce les oreilles au moyen d’un lecteur MP3 à casque XXL, combat l’intempérie grâce à son sweat-shirt à capuche et connaît des matins paisibles puisqu’il ne se coiffe plus. Surtout, il a fait de sa vie une partie de rigolade : soirées déguisées, anniversaires surprise, sessions Playstation entre amis, fête des voisins et autres mondanités.
L’existence de l’adulte branché est un long fleuve douillet. Mais sa progéniture pré-adolescente n’a rien à lui envier. Elle vient de se faire offrir le dernier it-bag assorti à son top, son slim est « trop » dans ses low boots et son i-phone sonne toutes les trois secondes pour l’avertir du dernier poke d’un pote.
L’adolescence est en principe une période d’apprentissage par imitation. Il semblerait qu’aujourd’hui le processus s’inverse. Mais pas d’inquiétude pour la moyenne d’âge qui reste la même : l’infantilisation des parents se rééquilibre au jour le jour par une maturation accélérée des enfants. Et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes en marche…

S.A

 


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