Marathon
25 avr
Ces temps-ci, la sauvagerie se signale volontiers par sa spécialité moderne : l’esprit de sérieux. Elle met de la gravité dans ce qui est léger, de l’horreur dans la distraction et des bombes au programme des courses à pied. Quoi de plus innocent que d’aimer transpirer en short Nike ? Quoi de plus sympathique qu’un marathonien à l’œuvre ? Tout comme un chef d’État, cet amateur d’essoufflement affiche des mollets de centurion, une face cramoisie, des aisselles dégoulinantes : mais il est difficile de lui reprocher une action politique, encore moins une provocation. Seul reproche qu’on puisse lui faire : cette rage d’arborer le même équipement flambant neuf que le voisin. On l’aimerait moins soumis aux marques.
La course à pied, communément appelé footing – ou, plus tendance, running – explose littéralement, sans mauvais jeu de mots, sur le bitume de nos cités, damant le pion aux Pilates et autres Shiatsu et Vinyasa à la prononciation risquée. Avide de perdre ses deux ou trois kilos excédentaires, surtout depuis qu’il dévore le Fooding et snobe les clubs au profit des restos gastro, le bobo, toutes générations confondues, s’est mis au pas de course. Tandis que la Parisienne brillera à l’occasion de « runs » 100% féminins organisés par Nike ou avec le soutien de la Mairie de Paris ( Cf. La Parisienne) , son bobo de mari pousse le vice jusqu’à traverser l’Atlantique afin d’aller gonfler les rangs de ses congénères à baskets au très huppé marathon de New-York. Ils fuient ensemble les émissions de CO2 pour aller vibrer aux événements bucoliques qui champignonnent çà et là sous les appellations chantantes de Clermontoise, Meudonnaise, Pellouillase. Ce n’est pas tout : le bobo se convertit au trail, épreuve disputée en pleine nature, et au barefooting qui consiste à courir pieds nus sur le trottoir. Seul, entre potes, en famille, par groupes de dix ou vingt, c’est la grand-messe du dimanche matin. Avec le résultat que l’on sait : des allées de parc et autres pistes de stade aussi blindées que le périph’ aux heures de pointe.
Fasse le ciel que cette armée pacifique soit épargnée, oubliée des combats de ce siècle.
Jeanne Ably
