

Un film à l’affiche, un article dans le NY Times, une émission sur France Culture, et voilà Le Havre, destination jusqu’à hier ignorée des branchés, qui devient un must.
À deux heures de Paris, la ville, avec ses artères bétonnées d’après-guerre et ses conteneurs métalliques, est à Deauville ce que Marseille est à Aix-en-Provence : un purgatoire. Et pour cause : point de festivals mondains ni de boutique Hermès, mais moult rades miteux et des rues nocturnes aussi désertes qu’une départementale à quatre grammes un mardi soir d’hiver.
Culturellement, des salles de concert et des cinémas historiques qui ferment les uns après les autres. Un sondage de « l’Express » place la population au 49e rang de celles qui avouent n’aller au théâtre que de temps en temps : trois points au-dessous de la moyenne nationale.
Quid de la gastronomie ? Chose inconcevable en France, Le Havre ne se targue d’aucune particularité gourmande. Pas même un petit resto du port proposant la moindre marmite havraise, ni une boutique du centre ville pour vendre une confiserie locale. Alors, quand Subway ou Mac Do s’y installent, c’est l’hystérie.
Question foot (= religion planétaire), Le Havre, avec son Havre Athletic Club, le plus ancien de France, persiste à perdre tous ses matchs dans son antique stade Jules-Deschaseaux.
Bref, une sous-préfecture a priori crado, moche, beauf, inculte, glauque, mal famée, qui plus est ex-coco !
Mais voilà. Certains, que débecte l’odeur du beau, se mettent à la regarder d’un nouvel œil. En quête d’authentique, ces connaisseurs lorgnent, depuis leur cité embouteillée, les larges faubourgs et les nombreux espaces verts – dont la gigantesque forêt de Montgeon en plein centre-ville – du deuxième port de France. Ses docks « so british », où il fait bon se promener après le déjeuner dominical – et non après le brunch, encore peu répandu ici – les font rêver. Ils donneraient n’importe quoi pour emménager avenue de l’Hippodrome à Sainte-Adresse qui leur fait tant penser à Brighton, et se baigner en pleine ville (comme à Brighton) dans la piscine signée Jean Nouvel (architecte très en vogue quoique désastreux), sise dans le quartier de l’Eure, ancien quartier des docks et lieu de boboïsation croissant.
Mais surtout, les Havrais, les vrais, vous l’affirmeront la main sur le cœur et les yeux dans le vague : leur ville est unique, tant là bat un vent de nostalgie et de poésie, souvenir des grands paquebots. Est-ce parce qu’elle a été dévastée pendant la guerre, qu’elle a inspiré à Sartre La Nausée, et qu’elle a abrité René Coty (qui fut le président d’une France heureuse), puis son descendant direct, l’excellent écrivain Benoît Duteurtre, romancier des « Pieds dans l’eau » (sans compter Raymond Queneau, et aujourd’hui l’extraordinaire guitariste de jazz Hugo Lippi, le réalisateur Mathieu Serveau, le groupe rock électro Dick Voodoo et, bien-sûr, le peintre Dufy qui y est né ou encore Christophe Ono-dit-Bio, brillant écrivain et journaliste).
En tout cas, ces Havrais-là ne cesseront de défendre leur ville natale, même le jour où la mode, se sera détournée d’elle. ET ILS AURONT RAISON.
Jeanne Ably


@Lancelot Lippi
Merci à Lancelot Lippi pour son précieux témoignage.