
Ah, la bise ! Stupeur et embarras de l’étranger franchissant nos frontières, dès qu’il s’agit de se dire bonjour. La bise est notre tare nationale, bien ancrée dans nos mœurs et certes irréformable. Le petit malin qui l’esquive en alléguant un rhume ou pire est mis fissa au ban de la société, catalogué comme malotru, voire facho. Indigne, en tout cas, de partager le Nespresso.
Au bureau, en famille, entre amis, vous ne passez ni la porte d’entrée ni l’examen de sortie si vous ne vous y soumettez pas aussi scrupuleusement que nécessaire. Quand vous avez fini la tournée, il n’y a plus rien au buffet.
Deux à Paris, trois dans le Gard, quatre à Marseille, ce sport national se décline selon les régions. Pire qu’un sport : une discipline, à quoi le citoyen doit se soumettre avec zèle dès le berceau. Malheureux enfant, chétive créature qu’on pousse, bras tendus et lèvres en cul de poule, au-devant du grand-oncle édenté et de la tante baveuse !
J’en parlais avec une amie Allemande. Elle me disait son incompréhension (légèrement méprisante) vis-à-vis de ce besoin que nous avons, nous autres Gaulois, de nous entre-lécher à chaque entrevue. Dans son pays, un simple “hallo” suffit. À la rigueur, une poignée de main. Outre Manche, on fait un “hug” à ses amis et à eux seuls. Les autres, on se contente de les saluer de loin. Pareil aux USA. En Belgique, l’ensalivage d’une seule joue fait l’affaire. Pour l’avoir pratiqué personnellement sur place, je dois admettre qu’il est d’ailleurs bien moins superficiel que son cousin français.
Et comme si ce n’était pas assez de claquer des bises aux personnes du sexe opposé, v’là que les garçons s’y mettent entre eux. Fini les temps virils où les copains se serraient la pogne en s’interpellant par leur nom de famille. Big Mother aujourd’hui règne. Désormais, il est de bon ton, entre potes, de s’embrasser tendrement sur les deux joues. Perte des valeurs masculines, féminisation à tout va, culture généralisée du doudou. Nos aïeux s’en retournent dans leur tombe et quant à nous, pipelettes en guerre contre l’infantilisme, nous réclamons au minimum une chose : qu’on abandonne le nom idiot de bise et qu’on en revienne au baiser.
Jeanne Ably