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Le touriste

22 nov

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Il se déplace en circuit fermé, sous prétexte de s’ouvrir au monde. Il s’équipe des « technologies » les plus pointues, pour aller prendre ici et là les mêmes clichés que tout le monde. Il se désaltère dans le Starbuks du coin entre deux musées. Vous l’avez reconnu, il est le touriste « de masse », devenu l’ennemi honni, le mal aimé, le maudit dont le nom seul est une souillure qui suscite l’ire de l’autochtone vénitien ou barcelonais désormais allergique à la valise à roulettes, monstre rampant d’un nouveau genre.

Jadis synonyme d’apprentissage intellectuel et de gymnastique de l’âme, le voyage a changé de nature à l’heure du bougisme systématique et des compagnies low-cost. S’amplifiant et s’industrialisant, il est devenu impératif culturel et pire encore :
« destructeur de civilisation », au dire d’Alain Paucard, auteur du merveilleux Cauchemar des vacances et président à vie du très sélect Club des Ronchons.

Soucieux de vérifier ce qu’il a lu dans la dernière édition du Lonely Planet, et surtout inquiet de n’avoir rien à raconter en septembre à ses collègues de l’openspace, l’homo touristicus, loin de pratiquer l’art du staycation, se fait un devoir de déserter la villa de famille pour aller au diable remplir ses  devoirs de vacances :  cours de salsa à Cuba, séance de méditation au Cachemire, trek en Namibie, visite des bordels de Bangkok, cri primal à Vienne et orgie de sangria à Séville. Il ne laisse rien au hasard dans cette course effrénée à la distraction.  Smartphone à la main et running aux pieds, le nouveau globe-trotter hyperconnecté n’a qu’une obsession : rentabiliser son séjour en instagramant un maximum de monuments classés. Même constat touchant le backpacker, ce routard soi-disant éclairé qui se fait un point d’honneur d’éviter les sentiers battus, mais dont l’itinéraire bis finit toujours par rejoindre celui du touriste en short et strings de pieds. 

Affichant un air supérieur et une moue blasée, il est  le premier à demander le code wifi dès le seuil de la moindre auberge, à remplir sa valise de dvd pour tuer les temps morts à l’étape et à s’éclater sur le dance floor, devenant à son tour la bête noire des populations locales et prouvant par l’exemple ce qu’a dit en son temps Jean Mistler (de l’Académie française) : « Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux. » À bon entendeur.

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Jeanne Ably

Fakation

25 nov

L’époque est au néologisme, de préférence en provenance d’une contraction et si possible de mots anglo-saxons. Ce dernier-né vient sauver de l’ennui cette génération  » Petite Poucette  » qu’admire tant le philosophe Michel Serres pour sa faculté d’envoyer un SMS aussi vite que Lucky Luke dégaine son colt.

« Fakation » signifie l’art de mettre en scène et de photographier ses vacances (« vacation ») imaginaires  (« fake ») à l’aide d’outils informatiques, puis de les poster sur Instagram  pour faire pâlir d’envie ses congénères.

La tendance fait rage sur la toile. Elle succède au staycation et vient réveiller l’encéphalogramme de nos friends mis à mal par trop d’avalanches subies : millième cliché du filleul de deux ans à croquer, dix millième gros plan d’une assiette de brunch dominical, soixante millième selfie dont on n’a toujours pas compris l’intérêt, hormis sa consonance qui rappelle un légume de guerre (le salsifis).

Biberonné au cinéma 3D, le geek a chaussé ses lunettes dans une salle obscure, il est entré dans le monde des avatars et a visité l’espace, guidé par un George Cloonesque en pleine gravitude.

Alors, une photo du Havre sous le crachin ? Très peu pour lui !

Ce qu’il veut, c’est épater. Pour ça, la plage de Phu Quôc au Vietnam est plus sûre que celle de Wimereux dans le Nord-Pas-de-Calais.

À quoi servirait Photoshop si ce n’est à économiser un billet d’avion ? L’effet sera le même, grâce à un savant montage.

Mais la question est :  que cherche ce virtuose du clavier ? Frimer ? Parodier ? Se moquer de ses semblables ?
Si c’est le cas, il ne fait que prendre le monde en marche. Son trajet s’effectue finalement sur des rails.

Suzanne Ably

Smoking kills

29 mar

     Si c’était le nom d’un groupe de rock, il s’agirait plus d’un Codplay végétarien que d’un Pete Doherty héroïnomane.

     La génération “smoking kills” a lu les paquets de cigarettes. Du coup, elle essaie d’arrêter de fumer. Elle respecte la planète. Elle roule en Vélib, boit du vin Naturalia et choisit l’option “staycation” pour les vacances. Elle croit en un monde meilleur. Entendez : sans pollution. Elle s’occupe énormément de sa petite santé. Épluchures des cinq fruits et légumes quotidiens dans les sacs jaunes, plastique et boîtes de conserve dans les sacs bleus. Faites l’inverse, vous provoquerez de sa part un frémissement d’horreur. Les peaux de banane, elle les garde pour fabriquer le BRF qui servira à faire pousser des fines herbes sur le balcon.
    Génial, tout ça, et quiconque se moque a mauvais esprit.
    Là où ça se complique, c’est que de l’autre côté de la Manche ils commencent, dit-on, à prohiber la cigarette dans les espaces verts. Déjà la loi en a poussé plus d’un  à s’exhiber aux terrasses de cafés enveloppés de couvertures. Jusqu’où ira-t-on pour nous faire rigoler ?
    Jusqu’à l’interdiction du rire, pour cause de pollution sonore.

Suzanne Ably

 

Street fishing

3 oct

 

Paris, poupée russe : plusieurs villes en une…

    Derrière les pavés, la plage. On connaissait le slogan. On en savoure la mise en œuvre : Paris-Plage. Sous des falaises en forme de Notre-Dame et sur un sable synthétique, des marchands de glace vendent de vrais esquimaux. Pas des Inuits, mais des bâtonnets glacés. Ici les foules bronzent mais ne plongent pas. Le grand Philippe Muray (ressuscité au théâtre par Fabrice Luchini) leur a trouvé un nom : les “plagistes de la Mairie de Paris”. Il les range dans  une catégorie sociale : “les classes baigneuses”.
    Paris, station  balnéaire ? C’est oublier ses pistes de ski. Souvenez-vous du stade Charléty avec fausse neige sponsorisée, et les patinoires artificielles de l’Hôtel de Ville, du Trocadéro et de Montparnasse.
    Paris, cité polyvalente, tantôt Deauville, tantôt Megève. Et maintenant, Paris bords de Marne. Une nouvelle mode y fait rage : la pêche, avec canne et hameçon. Ça s’appelle le street fishing. Seul le décor change : tags et trottoirs remplacent le saule et la pâquerette.
    Du reste, pourquoi partir ? Pourquoi descendre à Marseille pointer le cochonnet, pastis en main. Pourquoi aller poser ses fesses sur l’inconfortable galet d’Étretat (voir l’excellent Les pieds dans l’eau, de Benoît Duteurtre), ou se les mouiller sur la berge d’une rivière limousine. Restons sur place, puisque ça mord en bas de chez nous.
Nous n’aurons plus jamais besoin d’aller ailleurs.
Adieu Sncf, au revoir Roissy, vaincus par le concept Staycation. Vous êtes en train de faire faillite.
    L’ennui, c’est que nous n’avons jamais ressenti un tel besoin de changer d’air.

Suzanne Ably


www.roots-fishing.fr

 

Staycation

1 juin

Terminées les vacances trois étoiles sur des yachts en plein Pacifique, désormais on reste chez soi. Crise oblige, le « staycation », néologisme combinant « stay » et  « vacation », gagne du terrain chez nos amis les branchés. Il devient leur mode privilégié de farniente : profiter des bienfaits de sa ville, tout en réduisant l’émission de gaz carbonique. Rien de plus bobo, puisque écolo. Même Sarkozy a renoncé  à l’ordre de Malte pour le désordre d’une villa dans le Midi. Quant à Johnny, qui dit qu’il ne prétextera pas son récent coup de mou américain pour passer un peu de temps avec Laetitia et les gosses dans le Val-de-Marne ?

        L’été arrive, et Paris au mois d’août, depuis le temps qu’Aznavour nous en rebat les oreilles, pourquoi ne pas essayer.
Programme chargé : bronzette à Paris-plage, ciné en plein air à la Villette, pique-nique sur les bords du canal saint-Martin, concerts de rock au pont de Saint-Cloud, etc. Occasion, en outre, d’écumer les  terres cultivables de la Ville lumière, entendez ses musées et autres expos, dont raffole le « cultivated people ».
Les plus chanceux s’accorderont quelques week-ends dans la maison familiale, non loin de la capitale, à charge pour eux de tondre le gazon des ancêtres et de terminer enfin le premier tome de la Recherche du temps perdu qui moisit dans la bibliothèque…
En fait de temps perdu, ceux-là économiseront les moments qu’ils passaient dans les halls d’aéroports et les embouteillages. Et puis, rien de plus harassant que les voyages. Quant à leur coût, n’en parlons pas. Plutôt que de se ruiner en location sur la Costa Brava ou en thalassothérapie avec le troisième âge égrotant, les malins repeindront leur cuisine et rénoveront leurs tuyauteries. Toutes leurs tuyauteries (régime alimentaire à prévoir). Ils ne s’en porteront que mieux. Bref, on va loin en ne partant pas. Sans parler du pied-de-nez fait au racket du tourisme et des loisirs, qui a érigé en juteux impératif culturel le devoir de vacances et l’obligation des congés. Pied-de-nez est un terme poli. On peut lui préférer le moderne bras d’honneur.

Jeanne Ably


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