
Ma mère n’a jamais fumé de sa vie. Alors, pourquoi s’hexhibe-t-elle ce jour-là devant l’objectif une cigarette au bec ?
Réponse connue : par coquetterie. Par plaisir. Pour adopter la moue désinvolte que permet le lâcher de fumée. Pour nous faire admirer sa jolie main tenant la tige de huit, sixième de ses doigts fuselés. Pour être glamour comme Bardot dans Et Dieu créa la femme, où le sex-symbole maîtrise à merveille le jeu de lèvres et de volutes.
Et peut-être dans le seul but d’incarner un jour un noble anachronisme.
Triste est notre époque, à ce point obsédée d’hygiène et de sécurité (sociale) qu’elle en est venue à bannir la cigarette et tente maintenant de chasser le passé. Après avoir kidnappé une pipe en plein bec de Jacques Tati, la RATP (mieux nommée RAPT) récidive. Bravant le soupçon du sanitairement correct, elle séquestre la cousue qu’on n’a eu que le temps d’apercevoir entre les doigts d’Audrey Tautou, sur l’affiche de Coco avant Chanel. Aujourd’hui la tabacophobie règne. L’imbécillité aussi, du latin “imbecillus”, signifiant faible, débile, qui n’a pas son bâton (de tabac).
Karl Lagerfeld, esprit affûté, avec sa pertinence habituelle et ses mots toujours sobres, fait un triste constat : l’interdiction de fumer, c’est la mort de la conversation, déjà mise à mal ces dernières années par le téléphone portable et le politiquement correct. Plus le temps d’élever le débat dans les dîners. L’ appel de la nicotine exile dès le fromage les plus intelligents vers le trottoir mouillé, où se forment leurs groupes de parias un peu dépités de faire désormais partie de la caste des intouchables. Ces maudits sont grelottants pendant que les attablés se désespèrent de la conversation enfuie, et pérorent dans le vide.
Gainsbourg n’est plus là pour piquer une gueulante et griller des havanes à la télé en prime time. Dans la chanson de Pink Martini, la femme assume: “Je ne veux pas travailler, et puis je fume”. Pour vieillir couguar, la dame d’aujourd’hui contrôle son sommeil, sa carrière et ses poumons. Et pour arrêter de fumer, elle fait deux fois plus de footing et de musculation … Et Dieu créa Madonna !
Suzanne Ably