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Burn-out

4 avr

@Hélène Pambrun

 

Nouveau malaise dans la civilisation, jadis appelé grosse déprime, mauvaise passe, DN (pour dépression nerveuse), aujourd’hui donné comme la marque du ras-le-bol au boulot, ce mot composé s’impose d’autant mieux qu’il se prononce dans la langue de Shakespeare et qu’on lui évite la traduction douteuse des petits rigolos à l’esprit mal tourné.

Burn-out, entendez l’incendie intérieur qui ôte momentanément ou durablement à sa victime asphyxiée par les fumées professionnelles toute espèce de goût au travail et tout ressort. Utilisé pour la première fois en 1969 par Harold B. Bradley pour évoquer un épuisement radical au travail, puis repris par divers psychanalystes érudits, il est maintenant mis par tout le monde à toutes les sauces pourvu qu’il y ait quelqu’un qui bosse trop et s’en trouve mal.

Facteurs mis en cause : web, mail, call conf, bip, meeting, ical, facebook, twitter et tutti quanti. Merci l’Amérique.

Exemples de terrain :

Je suis directeur artistique d’une grande maison de couture française et j’ai voulu aller au-delà de ce qui s’est jamais fait, j’ai modifié la texture des tissus en les enterrant en forêt par les nuits de pleine lune… Burn-out.

Je suis une jeune actrice soudainement propulsée sous les projecteurs, j’ai profité de ma vogue soudaine pour réaliser un film, composer, produire, interpréter un disque, écrire un roman puis une pièce de théâtre, puis mes mémoires relatant tout ça… Burn-out

Je suis un chef d’entreprise qui a monté douze boîtes et malheureusement une de trop, celle qui m’a fait emprunter le millier d’euros fatal… Burn-out

Je suis un prof de bonne volonté avec envie de changer les choses, mais pas moyen dans ce monde cruel… Burn-out

Reste à savoir si ce mot fourre-tout fait avancer le Schmilblick ou s’il ne sert qu’à garnir les conversations d’un franglais pratique, entre deux name droppings et trois bises. Il n’est peut-être que le moyen d’en dire beaucoup tout en analysant le moins possible. Il faut dire que le monde moderne, pour aller vite, est contraint à des raccourcis.

S.A

Bistronomie

11 juil

Adieu les boîtes de nuit où l’on transpire et risque un tir de fusil de guerre, le nec plus ultra est de sortir dans les restos branchés de l’Ouest parisien. Le bobo, qui tient à sa peau, raffole des choses simples et s’y connaît en bonne bouffe, délaisse les carrés Vip du Baron et du Montana pour une résa à la Régalade ou au Saturne, temples de la bistronomie. Ce concept fait rage depuis peu. Sa toute première évocation est due au jury du sacro-saint Fooding, qui salua en 2004 l’alliance de l’esprit canaille du bistro avec la subtilité d’une gastronomie pointue. À présent s’en réclament tous les Aveyronnais de l’Aveyron et même du Cotentin qui sont montés faire fortune à la capitale. Du coup, les chefs étoilés rangent au placard nappes blanches et cuisine moléculaire et sortent les tables en Formica pour y servir les archi-traditionnels bœuf-carottes et poule au pot. Tatoué et barbe de six jours, ce cuisinier 2012, véritable pointure des temps modernes, rejoint son pote DJ dans les magazines branchés, prend la pose et claque des bises à son client. Lequel se soucie moins de manger pour son argent que de se sentir « à la cool » entre gens du même moule, et de le prouver à tous ses « friends » et « friends de friends ». Ce que facilite le smartphone. Photomanie oblige.

Jeanne Ably

 

 

Physio

18 mar

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Figure incontournable des soirées parisiennes et Rastignac des temps modernes : le videur. Rayban sur le nez et chaussures APC aux pieds, le physio 2012 a grimpé les échelons de la night. De gardien de porte le voilà devenu tyran de la nuit, régnant d’une main de fer (dans un  gant de boxe) sur le pauvre manant. Ni pitié ni miséricorde : d’un geste, notre cerbère renvoie au caniveau le misérable qui pensait s’en extraire, et refoule l’impudent qui croyait franchir l’entrée. Un seul de ses sourires ouvre aux heureux élus les portes d’un royaume, celui  de la branchitude.

Ses amis sont les peoples, comédiennes, rockeurs, politiciens et autres animateurs télé auxquels il claque des bises à tout va. Trop aristo pour le métro, il ne circule qu’en voiture de collection. Et puis quoi encore !  Quant à ses vacances, c’est au Cap-Ferret ou à South Beach, à grand renfort de Dom Pérignon et de name-dropping.

Forcément, le physio, après les « fils de » et les rappeurs multirécidivistes, se lance dans le cinéma. Il prend la pose dans les magazines. Libé lui consacre ses colonnes, surtout quand il a tué un resquilleur et défiguré deux bourgeoises. Sans parler de la blogosphère, qui chante ses louanges à voix multiple et vibrante. Bientôt, un roman. Et dans quelques années, le biopic tant attendu. C’est le héros balzacien dans sa splendeur. Son programme : être Joey Star ou mourir. S’il reste sur le marché une princesse de Monaco, il l’épousera.

Jeanne Ably

 

L’adulescent

23 juin

        Il porte des baskets Nike tricolores, couvre le buffet dans ses soirées de bonbons Haribo et parle verlan. L’adulescent – contraction d‘“adulte” et d‘“adolescent” – est comme ces grands-mères qui ont remisé leur tricot pour courir le monde en quête de tourisme équitable. Il refuse de vieillir. Fan des séries tv qu’il matte en boucle sur son écran plasma, il voue un culte aux héros de son enfance, Spiderman ou Bécassine, et joue à la Play-station prostré sur son canap. Il adore se déguiser et pique leurs places de concert à ses ados d’enfants qui sont, par ailleurs, devenus ses “friends” sur Facebook. C’est la confusion des âges aggravée de la confusion des sexes. Tandis que le mari moderne pousse des poussettes et claque des bises entre copains, sa femme boit de la Leffe au goulot et se met à la boxe moyennant un soutif à coques d’acier.
       Et voilà que les petites filles portent des talons hauts, et s’envoient sms sur sms sur des cellulaires dernier cri.

Jeanne Ably

La bise, une exception culturelle

6 oct

Ah, la bise ! Stupeur et embarras de l’étranger franchissant nos frontières, dès qu’il s’agit de se dire bonjour.  La bise est notre tare nationale, bien ancrée dans nos mœurs et certes irréformable. Le petit malin qui l’esquive en alléguant un rhume ou pire est mis fissa au ban de la société, catalogué comme malotru, voire facho. Indigne, en tout cas, de partager le Nespresso.

Au bureau, en famille, entre amis, vous ne passez ni la porte d’entrée ni l’examen de sortie si vous ne vous y soumettez pas aussi scrupuleusement que nécessaire. Quand vous avez fini la tournée, il n’y a plus rien au buffet.

Deux à Paris, trois dans le Gard, quatre à Marseille, ce sport national se décline selon les régions. Pire qu’un sport : une discipline, à quoi le citoyen doit se soumettre avec zèle dès le berceau. Malheureux enfant, chétive créature qu’on pousse, bras tendus et lèvres en cul de poule,  au-devant du grand-oncle édenté et de la tante baveuse !

J’en parlais avec une amie Allemande. Elle me disait son incompréhension (légèrement méprisante) vis-à-vis de ce besoin que nous avons, nous autres Gaulois, de nous entre-lécher à chaque entrevue. Dans son pays, un simple “hallo” suffit. À la rigueur,  une poignée de main.  Outre Manche, on fait un “hug” à ses amis et à eux seuls. Les autres, on se contente de les saluer de loin. Pareil aux USA. En Belgique, l’ensalivage d’une seule joue fait l’affaire. Pour l’avoir pratiqué personnellement sur place, je dois admettre qu’il est d’ailleurs bien moins superficiel que son cousin français.

Et comme si ce n’était pas assez de claquer des bises aux personnes du sexe opposé, v’là que les garçons s’y mettent entre eux. Fini les temps virils où les copains se serraient la pogne en s’interpellant par leur nom de famille. Big Mother aujourd’hui règne. Désormais, il est de bon ton, entre potes,  de s’embrasser tendrement sur les deux joues. Perte des valeurs masculines, féminisation à tout va, culture généralisée du doudou. Nos aïeux s’en retournent dans leur tombe et quant à nous, pipelettes en guerre contre l’infantilisme, nous réclamons au minimum une chose : qu’on abandonne le nom idiot de bise et qu’on en revienne au baiser.

Jeanne Ably

 

Flight jacket

24 oct


Hélas, hélas, nous ne trouverons plus Brando ailleurs que “sur les quais” et dans une boîte, non pas de nuit, mais de bouquiniste. Mickey Rourke est ravagé par l’alcool, par la boxe, le Botox et le brouillard mental. Filip Nikolic ne fera plus jamais de salto. Brad Pitt s’exhibe du matin au soir avec une balayette à vaisselle collée au menton. George Clooney s’empâte…
Les hommes d’aujourd’hui mettent des jeans slim et de la crème de jour. Ils se font mutuellement la bise. Paraît même que certains auraient des talonnettes à leurs chaussures.
Mais consolons-nous. Il n’est pas totalement exclu que nous croisions encore, au détour d’une rue, un vrai mec en Flight Jacket. En voici la preuve bien consolante.

S.A


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