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Religion mobile

26 jan

      Apple est un génie.
      Il a changé les mentalités, bouleversé les mœurs.
      Depuis longtemps déjà nos téléphones remplaçaient nos montres à nos poignets, nos agendas dans nos sacs, nos réveils à nos chevets. À présent Macintosh engendre le téléphone polymorphe qui nous donne l’impression de détenir la télécommande du monde. Avec ses I-phone 1, puis 2, puis 3, puis 4, le soleil se lève sur une humanité qui va muter.
    Ainsi nous est rendu ce que la religion offrait jadis : la foi et l’amour. Dans un monde où la désillusion prenait le pouvoir, nous retrouvons nos bases. Reléguant les anciens messies, nous pouvons à nouveau nous prosterner. Bienvenue chez les divinités Appli ! Hipstamatic, Cydia, Facebook, ça sonne largement aussi bien que Jésus et Moïse. Seul détail inquiétant : de plus en plus, nous sont infligées les effusions du téléphoneur envers son téléphone. Dans le métro, au restaurant, à la table familiale, c’est une débauche de petites caresses du bout des doigts, un pelotage doux et régulier. Si l’appareil casse ou disparaît, l’amoureux pique sa crise.
     L’i-phone sème le trouble dans le couple, vole l’homme à la femme et vice et versa. Menace pour la perpétuation de l’espèce ?

Suzanne Ably

Selfie

12 mar

                 Bienvenue dans l’ère de l’autoportrait à la sauce Instagram. Aujourd’hui, pour avoir l’air cool,  inutile de passer derrière les platines ou d’enchaîner les gardes à vue, suffit de se prendre en photo la bouche en cœur avec son i phone 5,  à charge de balancer le résultat sur les réseaux sociaux. Fastoche.

Couronné « mot de l’année 2013″ par les dictionnaires Oxford, le selfie sévit aussi bien chez les ados à boutons que chez  les stars hollywoodiennes ou les représentants du peuple, sans oublier bien sûr les journalistes, qui alimentent le buzz, ou le malheureux pape François, pris en flagrant délit de selfie à son insu.

Le principe est simple, connu de tous : offrir au plus grand nombre, friends, friends de friends, friends de friends de friends, ex-petits copains, cousins issus issus de germains, le spectacle instantané de son très cher « moi », moi sortant de la douche, moi  caressant le chien du voisin, moi une bière à la main, moi faisant la mayonnaise, moi m’occupant de moi, et ainsi de suite.

Mais attention. L’exercice requiert dextérité et pertinence, à en croire les nombreux magazines et blogs qui disent comment réussir son cliché  : éviter le flash, bien se positionner, ne pas tendre le bras trop loin, penser aux reflets dans ses lunettes de soleil – lesquelle sont l’accessoire indispensable, apprend-on, chouette alors.

Mieux que sa nouvelle paire de Van’s, son burger maison ou ses dernières vacances à L.A.,  le selfie, véritable prouesse,  donnerait l’occasion , selon les experts qui n’ont pas manqué de se pencher sur la question, de se créer enfin son identité idéale. Il serait surtout le moyen de susciter l’envie, but suprême de l’existence, en permettant d’engranger plus de likes et de smileys que sa copine Rachel.

Après facebook qui nous fait perdre la face,  le selfie achève de réduire l’homo ludens  à l’état de profil. Nous v’là bien.

Jeanne Ably

Bistronomie

11 juil

Adieu les boîtes de nuit où l’on transpire et risque un tir de fusil de guerre, le nec plus ultra est de sortir dans les restos branchés de l’Ouest parisien. Le bobo, qui tient à sa peau, raffole des choses simples et s’y connaît en bonne bouffe, délaisse les carrés Vip du Baron et du Montana pour une résa à la Régalade ou au Saturne, temples de la bistronomie. Ce concept fait rage depuis peu. Sa toute première évocation est due au jury du sacro-saint Fooding, qui salua en 2004 l’alliance de l’esprit canaille du bistro avec la subtilité d’une gastronomie pointue. À présent s’en réclament tous les Aveyronnais de l’Aveyron et même du Cotentin qui sont montés faire fortune à la capitale. Du coup, les chefs étoilés rangent au placard nappes blanches et cuisine moléculaire et sortent les tables en Formica pour y servir les archi-traditionnels bœuf-carottes et poule au pot. Tatoué et barbe de six jours, ce cuisinier 2012, véritable pointure des temps modernes, rejoint son pote DJ dans les magazines branchés, prend la pose et claque des bises à son client. Lequel se soucie moins de manger pour son argent que de se sentir « à la cool » entre gens du même moule, et de le prouver à tous ses « friends » et « friends de friends ». Ce que facilite le smartphone. Photomanie oblige.

Jeanne Ably

 

 

DTR

15 déc

Les Américains sont une espèce efficace : plutôt que de perdre leur temps à attendre des SMS qui n’arrivent pas – car c’est ça l’amour au XXIe siècle, n’est-ce pas Beigbeder ? – ils fixent le cadre de la « relation » lors d’une discussion préalable.
Cérémonial qui porte le nom de DTR, pour « Define the Relationship »
Une mise au point, en quelque sorte (MAP).
Façon, en tout cas, de mettre les choses au clair une fois pour toutes. Le Yankee, homme d’action, pragmatique, positif, sportif et aussi fantaisiste qu’une feuille d’impôt, n’a pas de temps à perdre avec ses états d’âme. Dieu lui prouve son existence par la bonne marche des affaires et par la bonne santé de la Bourse, non par les transes de l’amour. Alors, pour lui, le processus est simple : un premier verre en copains, puis un restau en tête à tête deux jours plus tard, enfin une troisième « date » qui sonne l’heure du passage à l’acte.
Au quatrième rendez-vous, on se met d’accord. Soit on se quitte avec une petite larme (et au suivant!). Soit on fixe la date d’un mariage dans le Vermont. Schéma purement mathématique, voire darwiniste. Pas comme chez nous, où pauvres hères nourris au biberon du romantisme catholique, nous naviguons contre vents et marées ( mariées ?) dans les eaux périlleuses de l’amour et du hasard.

À ce sujet, voir la nouvelle série Awkward.

Jeanne Ably

Tyranotage

6 fév

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             Souriez, vous êtes noté ! À l’heure ou le “like” constitue la louange ultime, le comble du satisfecit, quels que soient votre QI ou vos manières de table, vous n’avez plus droit à l’erreur. Des frites tièdes, une toile d’araignée au-dessus de la table, un chauffeur mal rasé, une standartiste dans la lune, bim, le couperet tombe, inexorable.

             Drôle de monde que le nôtre. On s’insurge contre un système d’évaluation qui ferait flipper les collégiens et on dégaine à tout propos son Smartphone pour se noter  les uns les autres. 1, 2 , 3 étoiles, selon le degré d’humour et de tolérance du jour. Entre nous et l’hôtel du coin, même régime de faveur.

            Phénomène que Anne-Caroline Paucot, auteur d’un Dictionnaire du futur, baptise «tyranotage », et dont l’absurdité a été mise en scène avec brio par l’épisode Nosedive de la série d’anticipation Black Mirror. En Chine, pays des Droits de l’homme comme chacun sait, la réalité dépasse la fiction en lui faisant une queue de poisson. L’État va bientôt mettre en place un système moralisant de crédit social ouvrant droit ou non à inscrire ses enfants dans  une bonne école ou à obtenir un prêt immobilier : moyen de placer le citoyen sous étroite surveillance, et sur liste noire à la moindre incartade.

          La Gestapo n’est pas loin. Vous tardez à vous mettre au zéro déchet et au DIY, prenez l’avion à la moindre occasion et rechignez à héberger un migrant ? Gare à vous. La dénonciation vous pend au nez, prélude à la mort sociale.

         La guerre des étoiles est déclarée.

Jeanne Ably

Story

6 nov

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Société du paraître et dictature du like : aujourd’hui l’homo Narcissus se doit, sous peine de mort sociale, de raconter des histoires. Le phénomène a été mis en évidence par François Taillandier dans La Grande Intrigue, magistrale fresque de cinq romans où l’écrivain forge un concept pour exprimer cette réalité : le telling est la colonne vertébrale narrative de l’homme moderne, qui n’est pas sans faire écho au bien connu story telling, nom flatteur du baratinage.

Comment raconter une histoire pour mieux vendre ou se vendre au mépris du réel ? Jadis apanage des publicitaires et autres marketteux sans scrupule, ce souci se répand grâce aux réseaux sociaux qui font de chacun, à peu de frais, le « storytelleur » de sa propre existence. Le tout est de se placer au bon endroit, au bon moment, sous la bonne lumière et dans le bon costume, quitte à reprendre trente-six fois la pose. 

Rien est abandonné au hasard dans cette course à la vie de rêve. Dernière fonctionnalité en vogue : les stories d’Instagram dont la simple appellation en dit long sur ce besoin aussi nouveau que frénétique de se mettre en scène. Véritable plongée sous-marine dans le train-train de Monsieur et Madame Tout le monde, ces minifilms de dix secondes agrémentés d’émojis, de stickers, de stylos, de filtres et autres quincailleries de la palette Photoshop hissent l’adulescent décomplexé à la dignité d’une pub pour Club Med ou du dernier Ideat. 

S’exposant sans répit sept jours sur six aux quatre coins du monde en compagnie choisie, l’homo instagramus satisfait son ego surdimensionné grâce à ces joujoux qui lui permettent de s’attirer les convoitises de ses friends en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas aux yeux de la selfie sphère. 

Vingt-quatre heures d’une vie de star, telle est l’ambition de ces Dorian Gray des temps virtuels idolâtrant leur propre image et soucieux de se convaincre que la vie est un truc de maboul. Même les célébrités s’y mettent à plein temps, qui s’affichent dans leur plus stricte intimité, cassant le boulot des paparazis et des magazines people bientôt réduits au chômage. Pour ne pas balancer, ne parlons pas de Laetitia Halliday, dont les recettes de cake au Carambar et les vacances à Saint-Barth n’ont de secrets pour personne.

Se regarder vivre sur un écran plutôt que de goûter l’instant qui passe, tel est le mot d’ordre. Au lieu de câliner sa progéniture, l’homo Narcissus la mitraille du bout de son portable. Plutôt que d’admirer le paysage, il dégaine son IPhone. Il n’est plus l’acteur, mais le spectateur frustré de sa vie, une vie réduite à l’état de reflet sur la toile. Impression de solitude. Sentiment de gâchis. Triste destinée.

Jeanne Ably

Shelfie

23 fév

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            Ringard le selfie, place au shelfie ! 

            Sous le règne absolu du moi-mêmisme, les « likes » deviennent la raison de vivre de l’homo instagramus  : son seul moyen d’exister nonobstant un charisme parfois équivalant à celui d’une huître. 

            Tout est prétexte à instagramer pourvu qu’on y gagne un maximum de followers : son assiette, ses doigts de pied, sa plante verte assortie au canapé. Et maintenant sa bibliothèque, preuve qu’on est cultivé, comme si ça ne se savait pas, depuis le temps.  

            Contraction de shelf (bibliothèque) et de selfie, le shelfie désigne l’acte hautement performatif consistant à mitrailler sa bibliothèque en exhibant du même coup son intérieur design. Pratique si bénéfique que certaines instagrameuses ont dédié leur compte à leur sacro-sainte bibliothèque. Proclamées shelfie queens par les internautes, ces pro du rangement passent des journées entières à agencer leurs rayonnages et à trier leurs livres par taille et par couleur, ou encore façon « rainbow ». Pour n’en citer qu’une, la Britannique Alice Sweet qui comptabilise jusqu’à 12 809 likes pour un seul cliché sur son compte sweetbookobsession.

             Drôle de monde que le nôtre où la gloire se mesure au nombre de « J’aime ». Les attributs qu’on s’évertuait à posséder jadis semblent devenus obsolètes.  La beauté ? Accessoire. Le mérite ? Facultatif. L’esprit, le talent ? Encombrants. La sainteté ? Inconnue au bataillon. Une œuvre ? Inutile. Le mystère ? Le moins possible. Aujourd’hui, une BB ou un Gainsbourg ne feraient pas carrière sans iphone 6.

Jeanne Ably

Les Mamounettes de l’Internet

3 fév

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À l’heure où le hashtag instakids imbibe la toile aussi profondément qu’un crachin l’herbe normande, il est temps de traiter d’un sujet grave.

J’ai nommé Les Mamounettes de l’Internet.
 
Le terme paraît sortir d’un « Télé-boutique-Achats » des Inconnus : résurgence bienvenue en 2017, à l’heure où la rigolade se perd. Car on ne rigole plus assez. Castigat ridendo moresc’est le rire qui châtie les mœurs : on le sait pourtant depuis le Tartuffe de Molière. 
 
Mais ne riez pas en entendant ces mignonnes syllabes qui semblent avoir été prononcées par une Lily-Rosette à l’adresse de sa petite-maman-chérie. L’appellation Mamounette de l’internet ne doit rien au second degré, elle provient des statistiques et des agents de marketing qui ciblent cette catégorie socio-2.0 hyperactive sur le Web dès qu’ils s’agit de parler de sa progéniture.
 
L’héritière de la Super Women des années 80, dotée maintenant d’enfants, reste imbattable sur tous les tableaux et assure à tous les niveaux.
Ultraréactive quand il s’agit de ses mioches, la Mamounette de l’internet ne lésine pas sur le temps passé à suivre les émissions consacrées au premier âge. Elle les note à coup d’étoiles, avant d’éditer son commentaire sur un blog traitant du même sujet (à moins qu’elle n’en soient elle-même l’administratrice). 
 
Son champ lexical, pour célébrer le dernier bon mot de son Blondinet, est aussi riche que pour traiter de « l’excès de sensibilité » sonore due au Second — entendez qu’il fait un caprice. Lequel caprice sera résolu par un « temps calme avec doudou », ou plus précisément avec l’un des sextuplés du doudou, car la Mamounette abrite dans sa grande famille des clones de la peluche sacrée. Il faut tout envisager, même le pire, et mieux vaut avoir des munitions en cas de malheur. Il faut dire que Doudou fait partie de la famille. Il est arrivé en même temps que Bébé, parfois bien avant Nounou.
 
Baignée de bons sentiments, la Mamounette vit dans un monde où le Bien a triomphé. Le tri sélectif et le zéro déchet seront intégrés par ses enfants avant même qu’ils sachent prononcer un mot ni parler de tolérance et de droit à la différence.
 
Son monde meublé de peaux de mouton sur fauteuil en rotin, et coloré par Farrow and Ball, s’honore d’activités culturelles et sent bon le petit plat bio.
Ses interventions sur la toile nous renvoient à notre triste sort de mère indigne, nous qui ne revenons pas d’une bibliothèque pour cuire des cookies sans gluten, sans lactose, sans sucre et sans chocolat.
 
La Mamounette de l’internet rime avec parfaite. Expo du moment pour tout-petits, menu de la cantine, anniversaire XXL, autant de sujets qu’elle maîtrise avec la virtuosité d’un Django à la guitare. Le seul moment où elle n’a pas les yeux rivés sur ses Blonds ? C’est quand elle publie. Le blog, l’insta, le chargement d’un album photo facebook sur iphone qui retracent les avancées de Bébé, puis re-l’insta, et re-le blog etc., etc., — il faut saisir l’actualité « en temps réel », ce qu’on appelait jadis « sur le vif ». Ses échanges avec la blogosphère, aussi. Une bonne recette gluten free contre un docu sur l’écologie des tout-petits. Il n’y a pas assez de 24 heures dans la journée.
 
Suzanne Ably

Adulenfant

2 avr

L’homo sapiens est à la peine, en l’an 2015.

Plumé par la crise, menacé par la bombe et plombé par le burn-out, il ravale ses blagues politiquement douteuses et oublie ses projets de voyages, n’étant plus sûr de rien, du copilote ni du navire de croisière.

Son refuge, il le trouvera désormais dans les écoles maternelles et autres structures pour tout-petits, partout où se pratiquent ces thérapies de décompression : la grimace, le coloriage et la gommette.

La grimace est en tout cas une arme de séduction. La preuve : après avoir peuplé les magazines de créatures patibulaires et de mines catastrophées, les agences de mannequins les garnissent à présent de clowns femelles qui louchent ou tirent la langue. Tant mieux pour Cara Delevingne qui bâtit son succès sur l’aptitude supérieure qu’elle démontre à faire l’idiote, style cour de récré. Avec elle, on s’éloigne à pas de géant de la femme qui se contentait d’être belle et de sourire.

Sulfureux, le livre pour adulte ? Plus tellement, puisqu’il s’agit maintenant de coloriages, best-sellers administrés à nos contemporains par leurs psy pour les faire se détendre et oublier à la fois Houellebecq et l’hostilité ambiante. Ça s’appelle l’Art-therapy et ça se vend à des millions d’exemplaires, par les soins d’Hachette qui en bourre les offices.

Quant aux gommettes, elles se voient attribuer désormais le savant nom d’  » émoticones  » et s’échangent entre adultes, à longueur de journée, via l’iPhone ou Instagram.

Mais quoi ! Un peu de frivolité n’a jamais fait de mal à personne, qu’on ait 8 ou 80 ans.
Et puis, quand le sol tremble sous vos pieds, et qu’on est de la race des cigales, on n’en danse que mieux.

Suzanne Ably

Fomo

14 nov

               Dilemme classique. Faire la tournée des bars avec l’espoir de croiser l’homme de sa vie, ou rester au chaud chez soi sans dépenser un sou. Au resto, choisir le magret de canard ou bien le filet mignon. Craquer pour un énième paire de chaussures, ou s’offrir un billet de train pour aller se ressourcer au Touquet ?
               L’hésitation est immense, et débouche généralement sur du regret : “Ah, si j’avais su…” Grand drame de notre vie quotidienne…
              Il porte désormais, ce drame, le nom savant de FOMO. Entendez :  “Fear Of Missing Out”, signifiant l’angoisse de toujours rater quelque chose. Les psychologues et autres diseurs de vérités incontestables sont unanimes : ce syndrome, qui prend sa source dans les nouvelles technologies (Blackberry, Smartphone, iPad), est accentué par les réseaux sociaux, accusés de cette maladie-là aussi. 
           Car oui, tandis qu’on bave devant notre écran face aux trois cent cinquante-deux photos de Machine, seins et fesses à l’air sur les plages de Bali, on se dit qu’on ferait mieux de se faire la malle, crédit immobilier à rembourser ou non.

          Quoi ? Vous êtes encore là, vous aussi ? 

Jeanne Ably


La Parisienne

4 jan

Photo : Blandine Lejeune

 

Figure majeure de notre patrimoine et vrai Caractère de La Bruyère, tantôt fustigée et tantôt célébrée, dans tous les cas objet de convoitises, la Parisienne, tel le bobo, n’en finit pas de faire couler l’encre. Une exposition lui est présentement consacrée aux Galeries Lafayette, prétexte à pipeleter.

       Ni déballage de chair ni string qui dépasse, le cheveu savamment décoiffé, la touche de maquillage idoine sans Botox ni bling-bling, la Parisienne est toujours au top. Ce n’est pas nous qui le disons : l’élégance à la française est une évidence internationalement proclamée. La Parisienne ne se gêne pas pour relooker son mec, des fois qu’elle l’aurait connu en marcel et en chaussures pointues. Elle fait de ses enfants des fashion victims dès le bac à sable. Quant à son intérieur,  chaque détail en est chiadé à mort, de l’applique murale jusqu’au coquetier. La déco, ça la connaît : plus au courant que Wikipédia,  elle chine ses meubles à la Croix Rouge et rougirait d’être vue chez Ikea. Si son mec est bricoleur, c’est l’idéal : rien de plus chic que le fait-maison.

       La Parisienne est au régime depuis l’aube des Temps. Ça ne l’empêche pas d’être plus portée sur la bouteille que sur le sport en salle. Toutes les occasions lui sont bonnes de se taper un p’tit verre en se grillant une  Marlboro light. Autre boisson fétiche : le p’tit noir ( tout est p’tit avec elle ) qu’elle boira sur le zinc en feuilletant le Parisien, son i-Phone 4 à la main.

       Côté mondain, la Parisienne, femme accomplie, parlera du prix du mètre carré dans les dîners en ville, ceux qui rassemblent les genres et les réseaux à grand renfort de cartes de visite (avocats, écrivains, comédiens, call girls, docteurs ès squelettes de Pygmées). Elle se vantera  de sa dernière acquisition-vente-presse à la faveur d’une girly party strictement interdite aux maris, définitivement relégués aux couches-culottes et aux poussettes.

       Plus généralement, cet être survolté a le sens de  la « nigth » et du loisir éthylique,  un goût prononcé pour le name-dropping et les virées du week-end. Fondue de musique et djette à ses heures, elle passe derrière les platines dès que l’occasion se présente, même le jour de son mariage, puisqu’un mariage est aujourd’hui de bon ton (moins vulgaire que le Pacs).

       Ses traits de caractères ne sont un secret pour personne : égoïste, contestataire, râleuse, resquilleuse, la Parisienne, malgré une éducation au cordeau et des écoles privées hors de prix, dit à peine bonjour et n’arrive jamais avant dix heures du soir à un dîner. Elle a toujours trop froid ou trop chaud. Elle déteste le dimanche et encore plus le lundi. Elle vomit la baguette trop cuite, le métro aux heures de pointe, les escalators en panne. Elle prend les sens interdits en Vélib ( qu’elle rendra à la 29e minute, la première demi-heure étant gratuite ), elle remonte la queue du cinéma, elle se bourre dans les cocktails. À la moindre anicroche elle vous engueule. C’est par-dessus tout une emmerdeuse. Faut dire qu’elle a de qui tenir. Louise Michel, Simone de Beauvoir, Isabelle Thomas, Yvette Roudy, Ségolène Royal, Catherine Deneuve sont ses modèles, dont la liste n’est pas close.

Jeanne Ably

 La Parisienne Du 1er avril au 4 juin 2011 aux Galeries Lafayette du mardi au samedi de 11h à 19h ( entrée libre )

Haro sur la sèche

3 fév

            Ma mère n’a jamais fumé de sa vie. Alors, pourquoi s’hexhibe-t-elle ce jour-là devant l’objectif une cigarette au bec ?
Réponse connue : par coquetterie. Par plaisir. Pour adopter la moue désinvolte que permet le lâcher de fumée. Pour nous faire admirer sa jolie main tenant la tige de huit, sixième de ses doigts fuselés. Pour être glamour comme Bardot dans Et Dieu créa la femme, où  le sex-symbole maîtrise à merveille le jeu de lèvres et de volutes.
Et peut-être dans le seul but d’incarner un jour un noble anachronisme.

           Triste est notre époque, à ce point obsédée d’hygiène et de sécurité (sociale) qu’elle en est venue à bannir la cigarette et tente maintenant de chasser le passé. Après avoir kidnappé une pipe en plein bec de Jacques Tati, la RATP (mieux nommée RAPT) récidive. Bravant le soupçon du sanitairement correct, elle séquestre la cousue qu’on n’a eu que le temps d’apercevoir entre les doigts d’Audrey Tautou, sur l’affiche de Coco avant Chanel. Aujourd’hui la tabacophobie règne. L’imbécillité aussi, du latin “imbecillus”, signifiant faible, débile, qui n’a pas son bâton (de tabac).

            Karl Lagerfeld, esprit affûté, avec sa pertinence habituelle et ses mots toujours sobres, fait un triste constat : l’interdiction de fumer, c’est la mort de la conversation, déjà mise à mal ces dernières années par le téléphone portable et le politiquement correct. Plus le temps d’élever le débat dans les dîners. L’ appel de la nicotine exile dès le fromage les plus intelligents vers le trottoir mouillé, où se forment leurs groupes de parias un peu dépités de faire désormais partie de la caste des intouchables. Ces maudits sont grelottants pendant que les attablés se désespèrent de la conversation enfuie, et pérorent dans le vide.

         Gainsbourg n’est plus là pour piquer une gueulante et griller des havanes à la télé en prime time. Dans la chanson de Pink Martini, la femme assume: “Je ne veux pas travailler, et puis je fume”. Pour vieillir couguar, la dame d’aujourd’hui contrôle son sommeil, sa carrière et ses poumons. Et pour arrêter de fumer, elle fait deux fois plus de footing et de musculation … Et Dieu créa Madonna !

Suzanne Ably

 


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