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Instagram

21 jan

Instagramer l’instant plutôt que vivre sa vie. Hier, on croquait son burger à pleines dents, aujourd’hui on le photographie à toutes sauces et on le met en ligne illico, moyennant un maximum de hashtag. De Barack Obama à Caroline de Maigret en passant par notre Johnny national ou par la future reine d’Angleterre, tous deviennent Instagram-addict, n’hésitant pas à se mettre en scène, l’air pensif et la mèche en bataille, en quête d’un maximum de like. But de l’opération : verser du rétro dans son quotidien et de la poésie dans ses clichés, grâce aux bistouris Nashville, Earlybird ou Rise. Un clic, et clac !, le dîner de copines se transforme en événement du siècle et le village d’enfance en décor hollywoodien. Jamais le monde n’a paru aussi beau que dans l’Instagram. Plus de rides ni de ciel gris ni de blanquette ratée, mais des couchers de soleil de carte postale, des “jolies“ rencontres et des “belles“ personnes en veux-tu en voilà. Du parfait à la pelle. Les marques de mode l’ont bien compris, qui communiquent directement via l’application du bonheur pour pousser leurs produits. Sans parler de lart contemporain qui arbore des photos volées sur Instagram lors d’une exposition de l’artiste Richard Prince à NYC. Le résultat, on le devine :  mêmes plantes vertes à l’arrière plan, même peau de mouton sur chaque dos, mêmes cheveux savamment décoiffés. Tout le monde finit par se ressembler dans cet univers factice, à l’instar d’une Meg Ryan et d’une Nicole Kidman standardisées par le Botox. Pourtant, jamais l’homo ludens – prêt à tout pour capter l’attention de ses pairs – ne s’est senti aussi seul. Les  filtres et autres outils de la palette Photoshop ne lui rendent pas la vie plus rose.

Jeanne Ably

Le touriste

22 nov

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Il se déplace en circuit fermé, sous prétexte de s’ouvrir au monde. Il s’équipe des « technologies » les plus pointues, pour aller prendre ici et là les mêmes clichés que tout le monde. Il se désaltère dans le Starbuks du coin entre deux musées. Vous l’avez reconnu, il est le touriste « de masse », devenu l’ennemi honni, le mal aimé, le maudit dont le nom seul est une souillure qui suscite l’ire de l’autochtone vénitien ou barcelonais désormais allergique à la valise à roulettes, monstre rampant d’un nouveau genre.

Jadis synonyme d’apprentissage intellectuel et de gymnastique de l’âme, le voyage a changé de nature à l’heure du bougisme systématique et des compagnies low-cost. S’amplifiant et s’industrialisant, il est devenu impératif culturel et pire encore :
« destructeur de civilisation », au dire d’Alain Paucard, auteur du merveilleux Cauchemar des vacances et président à vie du très sélect Club des Ronchons.

Soucieux de vérifier ce qu’il a lu dans la dernière édition du Lonely Planet, et surtout inquiet de n’avoir rien à raconter en septembre à ses collègues de l’openspace, l’homo touristicus, loin de pratiquer l’art du staycation, se fait un devoir de déserter la villa de famille pour aller au diable remplir ses  devoirs de vacances :  cours de salsa à Cuba, séance de méditation au Cachemire, trek en Namibie, visite des bordels de Bangkok, cri primal à Vienne et orgie de sangria à Séville. Il ne laisse rien au hasard dans cette course effrénée à la distraction.  Smartphone à la main et running aux pieds, le nouveau globe-trotter hyperconnecté n’a qu’une obsession : rentabiliser son séjour en instagramant un maximum de monuments classés. Même constat touchant le backpacker, ce routard soi-disant éclairé qui se fait un point d’honneur d’éviter les sentiers battus, mais dont l’itinéraire bis finit toujours par rejoindre celui du touriste en short et strings de pieds. 

Affichant un air supérieur et une moue blasée, il est  le premier à demander le code wifi dès le seuil de la moindre auberge, à remplir sa valise de dvd pour tuer les temps morts à l’étape et à s’éclater sur le dance floor, devenant à son tour la bête noire des populations locales et prouvant par l’exemple ce qu’a dit en son temps Jean Mistler (de l’Académie française) : « Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux. » À bon entendeur.

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Jeanne Ably

Story

6 nov

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Société du paraître et dictature du like : aujourd’hui l’homo Narcissus se doit, sous peine de mort sociale, de raconter des histoires. Le phénomène a été mis en évidence par François Taillandier dans La Grande Intrigue, magistrale fresque de cinq romans où l’écrivain forge un concept pour exprimer cette réalité : le telling est la colonne vertébrale narrative de l’homme moderne, qui n’est pas sans faire écho au bien connu story telling, nom flatteur du baratinage.

Comment raconter une histoire pour mieux vendre ou se vendre au mépris du réel ? Jadis apanage des publicitaires et autres marketteux sans scrupule, ce souci se répand grâce aux réseaux sociaux qui font de chacun, à peu de frais, le « storytelleur » de sa propre existence. Le tout est de se placer au bon endroit, au bon moment, sous la bonne lumière et dans le bon costume, quitte à reprendre trente-six fois la pose. 

Rien est abandonné au hasard dans cette course à la vie de rêve. Dernière fonctionnalité en vogue : les stories d’Instagram dont la simple appellation en dit long sur ce besoin aussi nouveau que frénétique de se mettre en scène. Véritable plongée sous-marine dans le train-train de Monsieur et Madame Tout le monde, ces minifilms de dix secondes agrémentés d’émojis, de stickers, de stylos, de filtres et autres quincailleries de la palette Photoshop hissent l’adulescent décomplexé à la dignité d’une pub pour Club Med ou du dernier Ideat. 

S’exposant sans répit sept jours sur six aux quatre coins du monde en compagnie choisie, l’homo instagramus satisfait son ego surdimensionné grâce à ces joujoux qui lui permettent de s’attirer les convoitises de ses friends en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas aux yeux de la selfie sphère. 

Vingt-quatre heures d’une vie de star, telle est l’ambition de ces Dorian Gray des temps virtuels idolâtrant leur propre image et soucieux de se convaincre que la vie est un truc de maboul. Même les célébrités s’y mettent à plein temps, qui s’affichent dans leur plus stricte intimité, cassant le boulot des paparazis et des magazines people bientôt réduits au chômage. Pour ne pas balancer, ne parlons pas de Laetitia Halliday, dont les recettes de cake au Carambar et les vacances à Saint-Barth n’ont de secrets pour personne.

Se regarder vivre sur un écran plutôt que de goûter l’instant qui passe, tel est le mot d’ordre. Au lieu de câliner sa progéniture, l’homo Narcissus la mitraille du bout de son portable. Plutôt que d’admirer le paysage, il dégaine son IPhone. Il n’est plus l’acteur, mais le spectateur frustré de sa vie, une vie réduite à l’état de reflet sur la toile. Impression de solitude. Sentiment de gâchis. Triste destinée.

Jeanne Ably

Boubour

24 mai

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Retour aux sources et mort du politiquement correct ! Désormais on ne se gênera plus pour aimer les grosses bagnoles et l’andouillette sauce moutarde. Fatigué de ravaler ses grivoiseries face aux auditoires Nuit Debout et Mariage pour tous, le boubour (contraction de bobo et de bourrin ) se révèle intolérant à la pensée unique, tout comme le bobo au gluten.

Finies les retraites de méditation au thé vert, abandonnées les missions humanitaires dans les jungles du Nord-Pas-de-Calais. Tandis que d’autres prônent la mixité tout en inscrivant leurs chers petits dans des cours privés hors de prix, le boubour se la coule ostensiblement douce. Il passe ses vacances sur un yacht, porte des costards à dix mille euros pièce et se chausse chez John Lobb. Pur produit d’une droite décomplexée, symbole de la fachisation galopante qui a sacré Donald Trump, type accompli du miracle américain, et qui a failli nous valoir François Fillon, adepte des courses automobiles, l’hédoniste dernier cri ne craint d’afficher ni sa couleur politique, ni surtout ses instincts de dragueur, aussi honnis soient-ils.

Balayés les idéaux socialistes de respect et de justice sociale, incarnés par des modèles aux mœurs aussi pures que DSK et le président à scooter. L’heure est au machisme insolent, autant dire à la frime. Ce qu’il faut c’est laisser libre cours à ses instincts, swiper sans scrupules, se la coller à grand renfort de Ruinart millésimé, exhiber ses pectoraux en acier et ses mollets de centurion. Les années 70 furent une ère de “libération” où la femme s’en remettait à Moulinex plutôt que de s’instagramer dans une Womens March, et vivait dans l’obsession quotidienne d’amortir sa pilule. Nostalgique de ce temps, et amateur de sensations fortes, notre « connard d’hétérosexuel » (pour parler comme Beigbeider, chantre de la boubouritude) remate en boucle les films de super-héros et raffole du métal, ainsi qu’en témoigne la tragédie du Bataclan, où  s’était donné rendez-vous le tout-Paris bobo pour applaudir Eagles of Death Metal, groupe dont  le leader s’est toujours proclamé haut et fort pro-gun et anti-avortement.

Jeanne Ably

 

Shelfie

23 fév

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            Ringard le selfie, place au shelfie ! 

            Sous le règne absolu du moi-mêmisme, les « likes » deviennent la raison de vivre de l’homo instagramus  : son seul moyen d’exister nonobstant un charisme parfois équivalant à celui d’une huître. 

            Tout est prétexte à instagramer pourvu qu’on y gagne un maximum de followers : son assiette, ses doigts de pied, sa plante verte assortie au canapé. Et maintenant sa bibliothèque, preuve qu’on est cultivé, comme si ça ne se savait pas, depuis le temps.  

            Contraction de shelf (bibliothèque) et de selfie, le shelfie désigne l’acte hautement performatif consistant à mitrailler sa bibliothèque en exhibant du même coup son intérieur design. Pratique si bénéfique que certaines instagrameuses ont dédié leur compte à leur sacro-sainte bibliothèque. Proclamées shelfie queens par les internautes, ces pro du rangement passent des journées entières à agencer leurs rayonnages et à trier leurs livres par taille et par couleur, ou encore façon « rainbow ». Pour n’en citer qu’une, la Britannique Alice Sweet qui comptabilise jusqu’à 12 809 likes pour un seul cliché sur son compte sweetbookobsession.

             Drôle de monde que le nôtre où la gloire se mesure au nombre de « J’aime ». Les attributs qu’on s’évertuait à posséder jadis semblent devenus obsolètes.  La beauté ? Accessoire. Le mérite ? Facultatif. L’esprit, le talent ? Encombrants. La sainteté ? Inconnue au bataillon. Une œuvre ? Inutile. Le mystère ? Le moins possible. Aujourd’hui, une BB ou un Gainsbourg ne feraient pas carrière sans iphone 6.

Jeanne Ably

Les Mamounettes de l’Internet

3 fév

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À l’heure où le hashtag instakids imbibe la toile aussi profondément qu’un crachin l’herbe normande, il est temps de traiter d’un sujet grave.

J’ai nommé Les Mamounettes de l’Internet.
 
Le terme paraît sortir d’un « Télé-boutique-Achats » des Inconnus : résurgence bienvenue en 2017, à l’heure où la rigolade se perd. Car on ne rigole plus assez. Castigat ridendo moresc’est le rire qui châtie les mœurs : on le sait pourtant depuis le Tartuffe de Molière. 
 
Mais ne riez pas en entendant ces mignonnes syllabes qui semblent avoir été prononcées par une Lily-Rosette à l’adresse de sa petite-maman-chérie. L’appellation Mamounette de l’internet ne doit rien au second degré, elle provient des statistiques et des agents de marketing qui ciblent cette catégorie socio-2.0 hyperactive sur le Web dès qu’ils s’agit de parler de sa progéniture.
 
L’héritière de la Super Women des années 80, dotée maintenant d’enfants, reste imbattable sur tous les tableaux et assure à tous les niveaux.
Ultraréactive quand il s’agit de ses mioches, la Mamounette de l’internet ne lésine pas sur le temps passé à suivre les émissions consacrées au premier âge. Elle les note à coup d’étoiles, avant d’éditer son commentaire sur un blog traitant du même sujet (à moins qu’elle n’en soient elle-même l’administratrice). 
 
Son champ lexical, pour célébrer le dernier bon mot de son Blondinet, est aussi riche que pour traiter de « l’excès de sensibilité » sonore due au Second — entendez qu’il fait un caprice. Lequel caprice sera résolu par un « temps calme avec doudou », ou plus précisément avec l’un des sextuplés du doudou, car la Mamounette abrite dans sa grande famille des clones de la peluche sacrée. Il faut tout envisager, même le pire, et mieux vaut avoir des munitions en cas de malheur. Il faut dire que Doudou fait partie de la famille. Il est arrivé en même temps que Bébé, parfois bien avant Nounou.
 
Baignée de bons sentiments, la Mamounette vit dans un monde où le Bien a triomphé. Le tri sélectif et le zéro déchet seront intégrés par ses enfants avant même qu’ils sachent prononcer un mot ni parler de tolérance et de droit à la différence.
 
Son monde meublé de peaux de mouton sur fauteuil en rotin, et coloré par Farrow and Ball, s’honore d’activités culturelles et sent bon le petit plat bio.
Ses interventions sur la toile nous renvoient à notre triste sort de mère indigne, nous qui ne revenons pas d’une bibliothèque pour cuire des cookies sans gluten, sans lactose, sans sucre et sans chocolat.
 
La Mamounette de l’internet rime avec parfaite. Expo du moment pour tout-petits, menu de la cantine, anniversaire XXL, autant de sujets qu’elle maîtrise avec la virtuosité d’un Django à la guitare. Le seul moment où elle n’a pas les yeux rivés sur ses Blonds ? C’est quand elle publie. Le blog, l’insta, le chargement d’un album photo facebook sur iphone qui retracent les avancées de Bébé, puis re-l’insta, et re-le blog etc., etc., — il faut saisir l’actualité « en temps réel », ce qu’on appelait jadis « sur le vif ». Ses échanges avec la blogosphère, aussi. Une bonne recette gluten free contre un docu sur l’écologie des tout-petits. Il n’y a pas assez de 24 heures dans la journée.
 
Suzanne Ably

Morningophile

4 fév

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@Lancelot Lippi

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@Lancelot Lippi

 

               Se lever à l’aube, avaler une dizaine de kilomètres en petite foulée entre deux selfies face au soleil levant (qu’on s’empressera d’instagramer sous les hashtags #5am, #earlyriser ou #earlybird), puis se récompenser d’un Granola maison au lait de brebis. Et au boulot ! Has been les grasses mat’ et les croissants au beurre. Fini les PVF et les soirées sur rooftop sous un ciel étoilé de maboul. Au diable les séries télé, les dernières séances et les gueules de bois à la Kro : les morningophiles colonisent nos petits matins, chantés en son temps par Dutronc père.

              Débarquée des États-Unis, la tendance prend ses racines dans un ouvrage intitulé The Miracle Morning, best-seller outre-atlantique. Elle fait rage là-bas chez les people, les politichiens, les start-upers et autres maniaques du développement personnel. Pour n’en citer qu’un ou plutôt une : Ana Wintour, papesse de la mode et symbole s’il en fut de réussite, laquelle se vante d’être derrière son Mac à 5 h du mat’ pendant que les paresseux roupillent. 

             Même constat chez nous où les adeptes de l’épanouissement et de la productivité à tout crin sont de plus en plus nombreux à se retrouver dès potron-minet pour un cours de yoga ou une séance de méditation. Résultat : des applis smartphone voient le jour pour empêcher ces prosélytes, aussi à l’aise côté portefeuille que dans leur running rose fluo, de remonter leurs réveils. Sans parler des before work, concept de boîte de jour permettant de se déhancher un café à la main, au saut du lit. Ces lieux de perdition fleurissent çà et là et achèvent de «sociabiliser» nos derniers instants de répit. Le bonheur, c’était pour hier. L’enfer est pour demain.

Merci à Lancelot Lippi

Jeanne Ably

 

Fobo

13 avr

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            Nouveau fléau générationnel, loin devant les MST ou la courbe du chômage : le Fobo, de l’anglais « Fear Of Beeing Offline ».
Révolus les temps lyriques où l’on cherchait un mot dans le Petit Robert en regardant l’heure  à son poignet. Aujourd’hui le monde se divise en deux catégories : ceux qui captent et les autres, les parias, pas fichus de googeliser en temps réel, faute de pouvoir se payer la 4G.

            Cousin germain du Fomo, qui consiste, rappelons-le, à lorgner son voisin du haut de sa fenêtre virtuelle, ce syndrome 2.0 désigne en langue moderne la crainte  d’être déconnecté ( et donc celle de rater une expo hypeeeeeer importante ). 
 Checker ses mails et son feed Instagram au réveil, et même au beau milieu de la nuit, des fois qu’on aurait oublié de forwarder l’event à l’ensemble de ses friends. Liker un maximum de photos en un minimum de temps – y compris un portrait du chaton du voisin de la copine de son oncle. Former des phrases de 140 caractères, pas un de plus, en les ponctuant de hashtags aussi divers et variés que #instamood #lifeisbeautiful #workinprogress#jesuischarlie#nofilter : sans wifi, point de salut. Vous espériez secrètement vous sevrer en zone libre ? Foutaises ! En rase campagne comme à la ville, interdiction formelle de se déconnecter, sous peine de mort sociale immédiate. Une voie de recours : les « digital detox », autrement dit les vacances déconnectées, qui proposent, moyennant un gros chèque, de se voir confisquer, à l’entrée du camp de désintoxication, portable, tablette, ordi et autres objets diaboliques. Au programme des activités compensatoires,  batailles de polochons, concours de rire, jeux d’action et vérité, ateliers de cuisine pieds nus, école buissonnière et même danse sous la lune. Sans oublier, bien sûr, quelques ateliers de coloriage, où s’éclatent particulièrement nos adulescents en chute libre.

Jeanne Ably

Adulenfant

2 avr

L’homo sapiens est à la peine, en l’an 2015.

Plumé par la crise, menacé par la bombe et plombé par le burn-out, il ravale ses blagues politiquement douteuses et oublie ses projets de voyages, n’étant plus sûr de rien, du copilote ni du navire de croisière.

Son refuge, il le trouvera désormais dans les écoles maternelles et autres structures pour tout-petits, partout où se pratiquent ces thérapies de décompression : la grimace, le coloriage et la gommette.

La grimace est en tout cas une arme de séduction. La preuve : après avoir peuplé les magazines de créatures patibulaires et de mines catastrophées, les agences de mannequins les garnissent à présent de clowns femelles qui louchent ou tirent la langue. Tant mieux pour Cara Delevingne qui bâtit son succès sur l’aptitude supérieure qu’elle démontre à faire l’idiote, style cour de récré. Avec elle, on s’éloigne à pas de géant de la femme qui se contentait d’être belle et de sourire.

Sulfureux, le livre pour adulte ? Plus tellement, puisqu’il s’agit maintenant de coloriages, best-sellers administrés à nos contemporains par leurs psy pour les faire se détendre et oublier à la fois Houellebecq et l’hostilité ambiante. Ça s’appelle l’Art-therapy et ça se vend à des millions d’exemplaires, par les soins d’Hachette qui en bourre les offices.

Quant aux gommettes, elles se voient attribuer désormais le savant nom d’  » émoticones  » et s’échangent entre adultes, à longueur de journée, via l’iPhone ou Instagram.

Mais quoi ! Un peu de frivolité n’a jamais fait de mal à personne, qu’on ait 8 ou 80 ans.
Et puis, quand le sol tremble sous vos pieds, et qu’on est de la race des cigales, on n’en danse que mieux.

Suzanne Ably

Fakation

25 nov

L’époque est au néologisme, de préférence en provenance d’une contraction et si possible de mots anglo-saxons. Ce dernier-né vient sauver de l’ennui cette génération  » Petite Poucette  » qu’admire tant le philosophe Michel Serres pour sa faculté d’envoyer un SMS aussi vite que Lucky Luke dégaine son colt.

« Fakation » signifie l’art de mettre en scène et de photographier ses vacances (« vacation ») imaginaires  (« fake ») à l’aide d’outils informatiques, puis de les poster sur Instagram  pour faire pâlir d’envie ses congénères.

La tendance fait rage sur la toile. Elle succède au staycation et vient réveiller l’encéphalogramme de nos friends mis à mal par trop d’avalanches subies : millième cliché du filleul de deux ans à croquer, dix millième gros plan d’une assiette de brunch dominical, soixante millième selfie dont on n’a toujours pas compris l’intérêt, hormis sa consonance qui rappelle un légume de guerre (le salsifis).

Biberonné au cinéma 3D, le geek a chaussé ses lunettes dans une salle obscure, il est entré dans le monde des avatars et a visité l’espace, guidé par un George Cloonesque en pleine gravitude.

Alors, une photo du Havre sous le crachin ? Très peu pour lui !

Ce qu’il veut, c’est épater. Pour ça, la plage de Phu Quôc au Vietnam est plus sûre que celle de Wimereux dans le Nord-Pas-de-Calais.

À quoi servirait Photoshop si ce n’est à économiser un billet d’avion ? L’effet sera le même, grâce à un savant montage.

Mais la question est :  que cherche ce virtuose du clavier ? Frimer ? Parodier ? Se moquer de ses semblables ?
Si c’est le cas, il ne fait que prendre le monde en marche. Son trajet s’effectue finalement sur des rails.

Suzanne Ably

Selfie

12 mar

                 Bienvenue dans l’ère de l’autoportrait à la sauce Instagram. Aujourd’hui, pour avoir l’air cool,  inutile de passer derrière les platines ou d’enchaîner les gardes à vue, suffit de se prendre en photo la bouche en cœur avec son i phone 5,  à charge de balancer le résultat sur les réseaux sociaux. Fastoche.

Couronné « mot de l’année 2013″ par les dictionnaires Oxford, le selfie sévit aussi bien chez les ados à boutons que chez  les stars hollywoodiennes ou les représentants du peuple, sans oublier bien sûr les journalistes, qui alimentent le buzz, ou le malheureux pape François, pris en flagrant délit de selfie à son insu.

Le principe est simple, connu de tous : offrir au plus grand nombre, friends, friends de friends, friends de friends de friends, ex-petits copains, cousins issus issus de germains, le spectacle instantané de son très cher « moi », moi sortant de la douche, moi  caressant le chien du voisin, moi une bière à la main, moi faisant la mayonnaise, moi m’occupant de moi, et ainsi de suite.

Mais attention. L’exercice requiert dextérité et pertinence, à en croire les nombreux magazines et blogs qui disent comment réussir son cliché  : éviter le flash, bien se positionner, ne pas tendre le bras trop loin, penser aux reflets dans ses lunettes de soleil – lesquelle sont l’accessoire indispensable, apprend-on, chouette alors.

Mieux que sa nouvelle paire de Van’s, son burger maison ou ses dernières vacances à L.A.,  le selfie, véritable prouesse,  donnerait l’occasion , selon les experts qui n’ont pas manqué de se pencher sur la question, de se créer enfin son identité idéale. Il serait surtout le moyen de susciter l’envie, but suprême de l’existence, en permettant d’engranger plus de likes et de smileys que sa copine Rachel.

Après facebook qui nous fait perdre la face,  le selfie achève de réduire l’homo ludens  à l’état de profil. Nous v’là bien.

Jeanne Ably

Bomeur

18 nov

Ce n’était pas bien compliqué : bomeur, contraction de « bobo » et  de « chômeur ». Dans une société qui sécrète le néologisme comme la pop star, Nathanaël Rouas, ex-créa’ de son état, a eu la riche idée de fondre les deux termes pour donner naissance à ce nouvel alliage lexical et urbain. Là où d’autres se contentent de bayer aux corneilles, notre jeune homme de 28 ans, plus moraliste que sociologue, crée dans la foulée un Tumblr dans lequel il raconte (avec humour) le quotidien passionnant de cette espèce en voie de prolifération, dont il se pose en spécimen représentatif.

Sans parler du reste : page Facebook, compte Twitter, application Instagram, etc., où il relaye l’info à grand renfort d’updates. Lever 11 h, 13 h déj en terrasse avec un pote, suivi d’un pseudo rdv boulot où ça parle projet ultraconfidentiel autour d’un p’tit café. Enfin apéro, puis sortie en club. Ainsi de suite. Le bomeur, à l’instar du chômeur, voire du slasheur, cultive l’art de se la couler douce en bonne conscience.  Ses dix stages de trois mois enchaînés et terminés, il profite d’un premier CDD de six mois pour pointer au Pôle emploi. Moyennant quoi il peut partir faire des photos à l’autre bout du monde, tandis que les copains se tuent à des burn-out dans les open spaces.

En soi, rien de nouveau, si ce n’est que les médias (Libé et les Inrocks en tête), en quête de sujets, s’emparent du phénomène et alimentent le buzz. Conclusion : de bomeur, voici notre histrion promu VIP. On connaît la suite : bientôt l’entrée du mot dans le Petit Robert. Et demain un roman chez Grasset. En attendant, Nathanaël court les plateaux de télé et les interviews.  Il y a de bonnes idées qui sont des coups de génie.

Jeanne Ably

 

Slasher

11 oct

        Tout ce qu’il voit l’inspire, tout ce qu’il lit le convainc, tout ce qu’il entend l’influence. Agent immobilier le jour, Dj le soir, aussi bien acteur que chanteur, prof de yoga ou photographe, mannequin et bloggeur, le slasheur ou #slashGen – de la touche « slash » qui permet le et/ou – est partout.
        Mieux que Batman et Hercule (Poirot) réunis, cette génération, née avec une télécommande à la main et un doudou dans l’autre, cumule les jobs et fait des séjours à Bali comme d’autres vont à Levallois. Ses représentants s’illustrent dans les soirées mondaines tout autant que sur leur « wall», ils sont toujours sur la photo.
        Purs produits d’une société de consommation qui érige en icônes les déesses Facebook et Instagram, et fait de l’instantanéité une urgence, ces trentenaires multitâches, bien mieux dans leurs vies Pro/Perso/RS/Créatif/ que dans leurs CDI, veulent certes gagner de l’argent, mais à condition de ne pas se laisser moisir en openspace à subir les gloussement de leurs collègues à eau de Cologne.
        Plus rêveurs que maudits, ces esthètes modernes ne connaissent ni l’ennui ni le spleen, déployant leur énergie à conquérir leur épanouissement personnel avec en somme un objectif : se hisser au sommet sans trop se donner la peine de l’escalade. Ok pour l’ascenseur social mais s’il tombe en panne, pas question de prendre l’escalier et encore moins l’échelle de secours : trop fatigant, et plutôt craignos.

Jeanne Ably

 Bijoux : Lili Storm

 


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