Cancel culture
23 jan

Vous êtes en plein divorce? Alertez Facebook. Une captation d’héritage ? Faites un tweet. Un problème d’inceste ? Consultez Google. Vos friends jugeront de l’affaire.
Retour à la justice antique : l’Agora d’aujourd’hui est un lavoir où se lave le linge sale, à grand renfort de « like » et d’émoticones furieux. L’Héliée, tribunal populaire, siège en permanence sur la Toile, comblant notre appétit de ragots, notre furie de médisance, notre passion du procès, nos délires de vengeance.
Sur les réseaux sociaux, colères et malédictions se déchaînent et se partagent. L’adulte contemporain garde une nostalgie de la cour de récré. Il prend parti, et, tout à coup, « ne veut plus être ton copain ». Certaines causes l’enflamment à tel point que c’est à peine s’il attend de connaître le coupable pour le condamner à mort sur cette nouvelle place publique.
Le phénomène est récent, fraîchement débarqué comme par hasard d’outre-Atlantique. C’est la Cancel culture. Son résultat courant est d’anéantir quotidiennement tel ou tel, comme on annule une course Uber ou un achat Vinted. La victime se voit retirer son droit de penser, de s’exprimer, d’être, tout simplement. Son crime ? Il a bafoué les critères moraux imposés par le troupeau social.
Et c’est ainsi que les moutons se font juges de la brebis galeuse. Un clic suffit. Pas besoin d’avocat. Il perdrait du temps à étudier le dossier. L’avantage, c’est que désormais nous n’avons plus besoin de feuilletons, de séries Netflix, ni de télé-réalité. Le Loft est parmi nous, à tout instant, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tout à fait palpitant, sous forme de lynchage internet. Merci la fibre optique!
Certains trouveront toujours à en faire quelque chose, tel un Raphael Enthoven qui cite Tocqueville pour parler de tyrannie de la majorité. « De ma fausse terrasse, j’observe, comme à l’Opéra, des discours antagonistes produire des comportements souvent identiques. » Ce qui est sûr c’est que le mouton moderne, pour faire ses crottes, broute moins d’herbe que de clics.
Suzanne Ably
image copyright: the justified sinner