Archive | janvier, 2020

Cancel culture

23 jan

Capture d’écran 2020-06-27 à 15.39.55
 Vous êtes en plein divorce?  Alertez Facebook. Une  captation d’héritage ? Faites un tweet. Un problème d’inceste ? Consultez Google. Vos friends jugeront de l’affaire.
 
Retour à la justice antique : l’Agora d’aujourd’hui est un lavoir où se lave le linge sale, à grand renfort de « like » et d’émoticones furieux. L’Héliée, tribunal populaire, siège en permanence sur la Toile, comblant notre appétit de ragots, notre furie de médisance, notre passion du procès, nos délires de vengeance.
Sur les réseaux sociaux, colères et malédictions se déchaînent et se partagent. L’adulte contemporain garde une nostalgie de la cour de récré. Il prend parti, et, tout à coup, « ne veut plus être ton copain ». Certaines causes l’enflamment à tel point que c’est à peine s’il attend de connaître le coupable pour le condamner à mort sur cette nouvelle place publique.
 
Le phénomène est récent, fraîchement débarqué comme par hasard d’outre-Atlantique. C’est la Cancel culture. Son résultat courant est d’anéantir quotidiennement tel ou tel, comme on annule une course Uber ou un achat Vinted. La victime se voit retirer son droit de penser, de s’exprimer, d’être, tout simplement. Son crime ? Il a bafoué les critères moraux imposés par le troupeau social. 
 
 Et c’est ainsi que les moutons se font juges de la brebis galeuse. Un clic suffit. Pas besoin d’avocat. Il perdrait du temps à étudier le dossier. L’avantage, c’est que désormais nous n’avons plus besoin de feuilletons, de séries Netflix, ni de télé-réalité. Le Loft est parmi nous, à tout instant, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tout à fait palpitant, sous forme de lynchage internet. Merci la fibre optique!
 
Certains trouveront toujours à en faire quelque chose, tel un Raphael Enthoven qui cite Tocqueville pour parler de tyrannie de la majorité. « De ma fausse terrasse, j’observe, comme à l’Opéra, des discours antagonistes produire des comportements souvent identiques. » Ce qui est sûr c’est que le mouton moderne, pour faire ses crottes, broute moins d’herbe que de clics.
 
Suzanne Ably
image copyright: the justified sinner

Flygskam

16 jan

5551223105_5745c06e0e_w

        Circuler dans les airs ? Pouah ! Bouh !  Fini le road-trip à l’autre bout du monde. Fini les vacances au soleil à Noël. L’homo touristicus éprouve soudainement un malaise en provenance du pays de sainte Greta : le « flygskam » (comprenez la honte de prendre l’avion).

        S’habiller vintage et trier ses mails, oui. Arrêter le bœuf en répétant à ses « kids » (ceux qu’on n’a pas pu s’empêcher d’avoir) que “chaque petit geste compte“, très bien. Encore faut-il surveiller son empreinte carbone, puisqu’on a appris ce que c’est.  Notre ami le Bobo, prêt à tout pour sauver la planète, façon pour lui de sauver son âme, redécouvre les joies du train pour aller courir à deux pas de chez lui la micro-aventure : randonnée pédestre en forêt de Rambouillet, descente en canoë dans  le Loiret. 

        La France regorge de trésors, sans compter ses trésors de patience. Bravant tous les obstacles, affrontant tous les dangers, la grève, les retards de quatre heures, les pannes, les suicides sur la voie, les manifs sur les rails, l’humeur des contrôleurs, les haut-parleurs inaudibles, le bain de foule, la promiscuité, l’ignominie de la place numérotée, etc., le Bobo ferroviaire fait mieux que tout le monde, même s’il fait comme tout le monde. 

       Il reste bienveillant, poli, serein. Son chemin de Croix lui laisse au moins le temps de réfléchir et de faire son examen de conscience en regardant défiler le paysage. Ne croyant plus à grand-chose, il doit bien se raccrocher à quelque chose. Ce sera donc l’écologie, la nouvelle religion qui transporte les foules. Elle le fait mieux que le TGV. Moins nocivement qu’un Boeing. Et quelle thérapie collective !

Jeanne Ably


Social Widgets powered by AB-WebLog.com.