Le touriste

22 nov

20147290635_3b3b082bf5_z

Il se déplace en circuit fermé, sous prétexte de s’ouvrir au monde. Il s’équipe des « technologies » les plus pointues, pour aller prendre ici et là les mêmes clichés que tout le monde. Il se désaltère dans le Starbuks du coin entre deux musées. Vous l’avez reconnu, il est le touriste « de masse », devenu l’ennemi honni, le mal aimé, le maudit dont le nom seul est une souillure qui suscite l’ire de l’autochtone vénitien ou barcelonais désormais allergique à la valise à roulettes, monstre rampant d’un nouveau genre.

Jadis synonyme d’apprentissage intellectuel et de gymnastique de l’âme, le voyage a changé de nature à l’heure du bougisme systématique et des compagnies low-cost. S’amplifiant et s’industrialisant, il est devenu impératif culturel et pire encore :
« destructeur de civilisation », au dire d’Alain Paucard, auteur du merveilleux Cauchemar des vacances et président à vie du très sélect Club des Ronchons.

Soucieux de vérifier ce qu’il a lu dans la dernière édition du Lonely Planet, et surtout inquiet de n’avoir rien à raconter en septembre à ses collègues de l’openspace, l’homo touristicus, loin de pratiquer l’art du staycation, se fait un devoir de déserter la villa de famille pour aller au diable remplir ses  devoirs de vacances :  cours de salsa à Cuba, séance de méditation au Cachemire, trek en Namibie, visite des bordels de Bangkok, cri primal à Vienne et orgie de sangria à Séville. Il ne laisse rien au hasard dans cette course effrénée à la distraction.  Smartphone à la main et running aux pieds, le nouveau globe-trotter hyperconnecté n’a qu’une obsession : rentabiliser son séjour en instagramant un maximum de monuments classés. Même constat touchant le backpacker, ce routard soi-disant éclairé qui se fait un point d’honneur d’éviter les sentiers battus, mais dont l’itinéraire bis finit toujours par rejoindre celui du touriste en short et strings de pieds. 

Affichant un air supérieur et une moue blasée, il est  le premier à demander le code wifi dès le seuil de la moindre auberge, à remplir sa valise de dvd pour tuer les temps morts à l’étape et à s’éclater sur le dance floor, devenant à son tour la bête noire des populations locales et prouvant par l’exemple ce qu’a dit en son temps Jean Mistler (de l’Académie française) : « Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux. » À bon entendeur.

8557299809_72ba02e4ca_z

Jeanne Ably

Comments are closed.

Social Widgets powered by AB-WebLog.com.