Archive | février, 2017

Shelfie

23 fév

image-2

image-2

            Ringard le selfie, place au shelfie ! 

            Sous le règne absolu du moi-mêmisme, les « likes » deviennent la raison de vivre de l’homo instagramus  : son seul moyen d’exister nonobstant un charisme parfois équivalant à celui d’une huître. 

            Tout est prétexte à instagramer pourvu qu’on y gagne un maximum de followers : son assiette, ses doigts de pied, sa plante verte assortie au canapé. Et maintenant sa bibliothèque, preuve qu’on est cultivé, comme si ça ne se savait pas, depuis le temps.  

            Contraction de shelf (bibliothèque) et de selfie, le shelfie désigne l’acte hautement performatif consistant à mitrailler sa bibliothèque en exhibant du même coup son intérieur design. Pratique si bénéfique que certaines instagrameuses ont dédié leur compte à leur sacro-sainte bibliothèque. Proclamées shelfie queens par les internautes, ces pro du rangement passent des journées entières à agencer leurs rayonnages et à trier leurs livres par taille et par couleur, ou encore façon « rainbow ». Pour n’en citer qu’une, la Britannique Alice Sweet qui comptabilise jusqu’à 12 809 likes pour un seul cliché sur son compte sweetbookobsession.

             Drôle de monde que le nôtre où la gloire se mesure au nombre de « J’aime ». Les attributs qu’on s’évertuait à posséder jadis semblent devenus obsolètes.  La beauté ? Accessoire. Le mérite ? Facultatif. L’esprit, le talent ? Encombrants. La sainteté ? Inconnue au bataillon. Une œuvre ? Inutile. Le mystère ? Le moins possible. Aujourd’hui, une BB ou un Gainsbourg ne feraient pas carrière sans iphone 6.

Jeanne Ably

Les Mamounettes de l’Internet

3 fév

image-2

À l’heure où le hashtag instakids imbibe la toile aussi profondément qu’un crachin l’herbe normande, il est temps de traiter d’un sujet grave.

J’ai nommé Les Mamounettes de l’Internet.
 
Le terme paraît sortir d’un « Télé-boutique-Achats » des Inconnus : résurgence bienvenue en 2017, à l’heure où la rigolade se perd. Car on ne rigole plus assez. Castigat ridendo moresc’est le rire qui châtie les mœurs : on le sait pourtant depuis le Tartuffe de Molière. 
 
Mais ne riez pas en entendant ces mignonnes syllabes qui semblent avoir été prononcées par une Lily-Rosette à l’adresse de sa petite-maman-chérie. L’appellation Mamounette de l’internet ne doit rien au second degré, elle provient des statistiques et des agents de marketing qui ciblent cette catégorie socio-2.0 hyperactive sur le Web dès qu’ils s’agit de parler de sa progéniture.
 
L’héritière de la Super Women des années 80, dotée maintenant d’enfants, reste imbattable sur tous les tableaux et assure à tous les niveaux.
Ultraréactive quand il s’agit de ses mioches, la Mamounette de l’internet ne lésine pas sur le temps passé à suivre les émissions consacrées au premier âge. Elle les note à coup d’étoiles, avant d’éditer son commentaire sur un blog traitant du même sujet (à moins qu’elle n’en soient elle-même l’administratrice). 
 
Son champ lexical, pour célébrer le dernier bon mot de son Blondinet, est aussi riche que pour traiter de « l’excès de sensibilité » sonore due au Second — entendez qu’il fait un caprice. Lequel caprice sera résolu par un « temps calme avec doudou », ou plus précisément avec l’un des sextuplés du doudou, car la Mamounette abrite dans sa grande famille des clones de la peluche sacrée. Il faut tout envisager, même le pire, et mieux vaut avoir des munitions en cas de malheur. Il faut dire que Doudou fait partie de la famille. Il est arrivé en même temps que Bébé, parfois bien avant Nounou.
 
Baignée de bons sentiments, la Mamounette vit dans un monde où le Bien a triomphé. Le tri sélectif et le zéro déchet seront intégrés par ses enfants avant même qu’ils sachent prononcer un mot ni parler de tolérance et de droit à la différence.
 
Son monde meublé de peaux de mouton sur fauteuil en rotin, et coloré par Farrow and Ball, s’honore d’activités culturelles et sent bon le petit plat bio.
Ses interventions sur la toile nous renvoient à notre triste sort de mère indigne, nous qui ne revenons pas d’une bibliothèque pour cuire des cookies sans gluten, sans lactose, sans sucre et sans chocolat.
 
La Mamounette de l’internet rime avec parfaite. Expo du moment pour tout-petits, menu de la cantine, anniversaire XXL, autant de sujets qu’elle maîtrise avec la virtuosité d’un Django à la guitare. Le seul moment où elle n’a pas les yeux rivés sur ses Blonds ? C’est quand elle publie. Le blog, l’insta, le chargement d’un album photo facebook sur iphone qui retracent les avancées de Bébé, puis re-l’insta, et re-le blog etc., etc., — il faut saisir l’actualité « en temps réel », ce qu’on appelait jadis « sur le vif ». Ses échanges avec la blogosphère, aussi. Une bonne recette gluten free contre un docu sur l’écologie des tout-petits. Il n’y a pas assez de 24 heures dans la journée.
 
Suzanne Ably

Social Widgets powered by AB-WebLog.com.