La bande du Drugstore
27 sept
Rendons à César ce qui lui appartient, et des éléments précis à la vérité historique.
Le patte d’éph’, qu’on attribue à tort (et de travers) au hippie de Hair ou de Nanterre, c’est « elle » qui l’inventa et l’imposa.
Elle ? La bande du Drugstore. La vraie. Pas celle des livres et films qui ont chanté sa geste, mais celle des origines, qui se réunissait au tout début des années 60 devant le drugstorePublicis en haut des Champs-Élysées. Elle ne comptait que quelques membres triés sur le volet.
Appelés d’abord « marinettes » (du nom d’un tailleur du Sentier, Marina, auquel il fallait apporter son tissu), ces fils-à-papa ultrafriqués, issus des bandes du Seizième et de la Muette, sévissaient à quinze ou vingt dans le triangle d’or Passy, Étoile, patinoire Molitor, avec quelques stations au Scossa, place Victor-Hugo.
Leur règne fut, durant un temps, absolu, aux extrêmes pointes du territoire de la mode. Avec pour seul et unique programme de la journée : préparer la soirée.
Ils furent les tout premiers cheveux longs, scandaleusement longs – aussi longs que ceux des filles – beaucoup plus longs que ceux des Beatles, qui n’allaient se signaler peu après que par une assez courte frange, à y bien regarder.
Leur sport et leur défi ? S’introduire chaque soir dans un maximum de boums. Leurs sésames, grâce auxquels (après négociations) ils pénétraient ? L’élégance et l’insolence. Et aussi, une absence totale de scrupules. Au besoin, la porte était forcée.
Du reste, qui eût refoulé ces sveltes jeunes gens, beaux comme des dieux, au faste capillaire sans égal, sapés comme des milords, costard cintré, veste à deux poches à gauche, épaulettes ajustées, pantalon évasé sur mocassin Weston, cravate club, chemise en oxford. Leur mèche avait un retombé unique, leurs mouvements une grâce féline et leurs Ray Ban une authenticité à faire pâlir d’envie les franchouillards.
La maîtresse de maison, vaillante lycéenne de Molière qui avait réussi l’exploit de chasser ses parents pour la durée de sa surprise-partie, ou « sur-patt' », ne tardait pas à le regretter. Les crinières soyeuses et les costards sur mesure n’abritaient pas des enfants de chœur. Bien que ne touchant pas encore aux drogues qui déchaîneront leurs successeurs pré-soixante-huitards, les marinettes n’hésitent pas à se mettre à plusieurs pour violenter, voire violer une fille. Quand ils quittent les lieux en quête d’une autre boom, c’est après avoir fait les sacs, pillé les tiroirs et vandalisé le salon.
Pour payer leurs achats chez ce qui ne va pas tarder à s’appeler Renoma, ces jouvenceaux se livrent au trafic de tabac (Amsterdamer) ou d’armes (le drame Éric Malan, à Janson de Sailly, est d’une actualité encore tiède).
Voilà : le minet du Drugstore, fils de ministre ou de banquier à hôtel particulier rue Desbordes-Valmore, n’est pas quelqu’un de recommandable. Il n’ a rien inventé, sauf une panoplie qui sera imitée. Il ne fait pas grand-chose, à part dépenser son argent de poche au Mars Club de Nancy Holloway ou au juke Box du Silène, bar branché proche des Champs-Élysées. Il n’a pas de spécialité bien nette, excepté sa façon absolument magistrale de danser le « trois-trois-deux », dérivé du bop, avec les filles de sa bande, qui sont trois fois plus belles que celles qu’on trouve sur place, six fois plus antipathiques aussi, mais vingt-cinq fois plus libérées. C’est un voyou, donc un ravageur, avec ce petit quelque chose qui va faire de lui une légende, laquelle inspire aujourd’hui cinéastes et romanciers dont la documentation pèche souvent par un peu de flou.
Comme le chantaient les Teddy Bears ou Fats Domino, qu’ils écoutaient pour se reposer d’Elvis: To know know know him is to love love love him…
S.A
Tout sauf les cheveux qui semblaient long a l’èpoque, les cheveux vraiment long sur les épaules et plus, « comme les filles » c’est beaucoup plus tard 68 et aprés, et les « marinettes » !!! connais pas, les « Marinas » oui !
– Effectivement, jamais sur les épaules, mais suffisamment longs quand même, ces cheveux, pour que le bon bourgeois les déclare « une coiffure de fille ». « Marinettes » était l’appellation un peu péjorative et justement un peu « fille » attribuée, par ceux qui ne faisaient pas partie de leur bande (et par les chauves) aux Marinas.
tres proche de la réalité, ce portrait, mais nous étions en fait BEAUCOUP PLUS LEGERS, oui d’une légereté promue en art de vivre, et de comprendre, en superiorité douce et narquoise, en évolution de notre miserable race vers un ciel plus flamboyant, et finalement d’une extreme et sincere douceur…..
N’est-ce pas un peu la nostalgie de votre jeunesse qui vous inspire ce tableau légèrement angélique concernant une bande de jeunes des beaux quartiers qui avaient la chance de vivre une époque (bien enfuie) où le « beau quartier » était une supériorité et non une tare sociale, comme aujourd’hui ?
Ah Ah, Sergio, je suis tombé sur cette page par hasard – obligé de laisser ce post, qui donne un éclairage sur l’époque ; yapadedoute c’était les gars du « Français » les plus cools (après les Halles, les branchés; ça annonçait la daube 😉
DE LA « BANDE DU FRANÇAIS » A LA « BANDE DU DRUGSTORE » 1956 – 1960 – « LES VIEUX GARS »
10 juin 2011, 08:40
Amaury Bargioni
Il existe des personnages qui traversent toute une époque, toute leur époque – plus d’un demi-siècle – avec une persévérance remarquable. Ils ont été les producteurs de leur vie. Ils ne sont pas connus du grand public. Ils ont une sorte de sourire sceptique. La route était longue, elle était belle et cruelle aussi. Mais jamais ils ne se sont bercés d’illusions. Serge Kruger est de ceux-là. Il marche seul. Et il lui arrive d’être bien fatigué.
En 1956 ; c’était il y a longtemps, dans un autre monde, Serge Kruger avait 14 ans – notre âge. Il faisait du patin à glace en bas des Champs Elysées au « Palais des glaces ». Et il avait une bande de copains : « La Bande du Français ». Tout cela est ancien. Tout cela a disparu. Il n’y a pas de photos. Tout est presque complètement effacé, les souvenirs s’effritent, Il ne reste que Serge, pour retracer un peu de cette époque, de leur musique, de leur style, de leur jeunesse impertinente et joyeuse.
Serge Kruger
Nous écoutions Bill Haley, et les 1ers rocks: Little Richard, Fats Domino, Eddie Cochrane , Les Platters, les Lafayettes, Elvis ; que des génies chauds et gais, qui fracassaient les musiques mièvres d’avant; généralement américaines, et faussement populaires, seuls les fils a papa avaient accès à ces imports couteux, on se les piquait souvent entre nous… ça nous balançait une énergie nouvelle, faite d’assurance et de différence, de danse aussi…Nos futes étaient très étroits et nos chaussures longues, cheveux souvent oxygénés, fond de teint piqué à maman, (restes des gestes d’après-guerre, sans bas ?), nous étions à part, et convaincus d’être dans le pur: toute autre attitude était étriquée, hors groupe et donc hors bon plan: l’ennui nous entourait, notre bulle était drôle et cinglante, allant d’une boum à une terrasse, avec des rites subtils et précis! une aristocratie d’allure et de personnalité; et bien sûr les 1ers scooters ou mobs (échappement libre) échappées libres, essaims de petits chevaliers du fun et du futur,
Sensation, émotion, altitude, et aussi réelle simplicité: personne ne pouvait bluffer l’autre, nous bluffions tous avec complicité et rivalité amicale: être au bon moment au bon endroit avec les bonnes personnes. Au fond nous avions réinventés la simplicité honorable….
La mienne, de simplicité, était plus tendue, ma mère était assez pauvre, seule, et, livré à moi-même depuis l’âge de 6 ou 7 ans, je zonais beaucoup à vélo, fendant la solitude par ces déplacements sans but, et la recherche d’une communication de niveau convenable, jusqu’au jour où je les ai vus: le groupe; la bande qui assurait, là ! à la sortie du cercle du rond-point des Champs, patins à glace et rayonnement de fierté, d’arrogance, de ceux qui savent qu’ils sont détenteurs de l’héritage des initiés, des beaux, des poètes, de l’après existentialisme des zazous( mais version classe), et ne veulent pas se laisser infiltrer par les raseurs, les ennuyants ; ils étaient d’une élégance et d’une allure éblouissants, c’était un milieu très fermé, inaccessible aux ringards qui zonaient à distance dans l’espérance de je ne sais quelle miette de chic et de fun .
Ils étaient de ceux qu’il faut mériter pour en être, et cela ne s’achète ni par le fric ni par la naissance, mais par un certain mérite qui ne se prend pas au sérieux, peut-être tout simplement par cette indicible souffrance d’être différent…si différents…
« Le Français » était en bas des champs, à droite en remontant: immense grande terrasse très pratique, très grand trottoir: on était parfois jusqu’à 150 , nous connaissant tous, avec des zones et des cercles: un des caïds de cette époque était Alain castille et son ami Rodolphe; pas les plus abordables, disons arrogants, très déterminés (ce qui fait que comme tous les leaders de ce genre de bande on les a vus disparaitre de leur émergence dès que d’autres tendances plus fraiches arrivèrent). Ma politique instinctive était d’être toujours avec les ‘lieutenants’ des caïds, et de garder ainsi ma complète autonomie de personnalité, tout en étant au cœur de l’action… en fait j’étais un peu en désaccord avec leur morale, mais ils étaient tellement plus excitants que les petits bourgeois, que j’étais quand même mieux avec, que sans eux, attendant comme j’attends encore, que naissent les générations qui me permettraient d’être encore et encore plus moi-même, plus sincère, plus vrai!
Amaury Bargioni
Ainsi, il y a la patinoire et cette bande. Les gars sont là, ils vous impressionnent, ils ont quelque chose qui vous plaît « détenteurs de l’héritage des initiés ». Comment intégrez-vous le groupe ?
Serge Kruger
En en ayant le désir, puis un contact, sans doute le plus long à obtenir, et ensuite, lentement, tout s’enchaine, on est accepté si on est digne de l’être, tout ça se joue d’après des lois très « organiques», sans doute…
C’était une première et magnifique marche, évolutionnaire; j’avais 14, 15 ans, et tous les 2 ,3 ans , une nouvelle vague arrivait alors, avec une nouvelle musique, une nouvelle pensée qui s’exprimait par de nouveaux comportements, de nouvelles modes bien sur, et tout cela était naturel spontané, pas encore commercial: un long chemin s’ouvrait a l’explorateur urbain qui voulait sortir d’une gangue immonde…
Cela dit comme dans toutes les confréries, chevaleries et autres cours, l’action d’éclat, (en redorant votre blouson …) ouvre des portes chez les plus justes, crée des jalousies chez les imposteurs arrivés, et n’est pas nécessaire (conseil : mieux vaut un éclat actif et permanent…)
Cette bande existait pour se sortir de la médiocrité environnante: mêmes gouts pour la musique, la mode, la modernité, un état d’esprit initiatique.
Amaury Bargioni
Puisque cette bande existe, quels en sont les leaders ? – vous dites que « vous étiez en désaccord » avec leur morale… C’est un peu comme si un joueur de foot invité par l’équipe de France pour jouer, disait ; ok, mais je n’aime pas le foot
Serge Kruger
Les noms ne te diront rien: Capitaine, Lapin, José Gonzalez, Jacques Deloffre, Jacques Lafitte, Jabouille, (plus célèbres adultes), Figaret, Torok, Malherbes, Jean Claude Deutsch. Des riches, des fauchés, des étrangers, des voyous, de futurs milliardaires: on s’en foutait, ce qui comptait c’était « d’en être ou pas ».
J’étais un peu en désaccord ; parce que, très jeune, j’avais les prémices de mes idées actuelles: le concept d’une aristocratie populaire. Eux étaient plutôt « pognon », néo bourgeoisie évolutive, mais avides de possessions.
Cependant, à coté des « jeunes ordinaires » leur compagnie était un rafraichissement, et une source d’énergie permanente. Si tu as le choix entre rester dans un cachot ou aller taper le ballon dans une cour, alors que tu n’aimes pas le foot: tu y vas et t’efforces d’éviter le pire (la honte du conformisme qui te coule dans le mensonge absolu, ou la solitude totale avec sa souffrance): mais tu porte en toi ton sourire et ta vérité – ça trace quand même ! Et là, bien sur, lourde caricature: disons que j’émettais des réserves en mon for intérieur, comme un voyageur qui se plie aux rites du pays qu’il visite mais qui s’éclate quand même. Je suis donc un hypocrite sincère…
Amaury Bargioni
Comment pouviez vous être certain que ces gars là, ce n’était pas de la frime, du « j’me la pète » ?
Il y a des noms qui méritent sans doute un développement. Certains sont connus. Que pourriez-vous décrire de vos amis : Capitaine, Lapin, Torok, Figaret et les voyous ?
Serge Kruger
Lapin appelait tout le monde « lapin » d’ou son surnom: habillé par ex. d’un pantalon en pied de poule avec une veste en cuir noir, très chic, il riait tout le temps et affichait un cynisme joyeux, très amical (« Lapin » en réalité Jean Claude, m’expliquera quand je le rencontrerai au salon du prêt a porter ou j’exposais en 76, « qu’il exploitait des mines de sel »!). Jacques Deloffre, qui m’était très cher, et qui, par la suite est resté avec sa fortune et une femme qui le supportait, dans une grande solitude, faisant des traversées des jungles ou des déserts, avec une gourde et un sac à dos (miam). Un jour, (c’était des années après le « Français »), il achète avec moi un très décoratif serpent vert pomme, garanti couleuvre, qu’il trimballe comme un collier chez Castel et partout ; la femme de ménage démissionne ;quelques mois après, le serpent le mord, il gonfle comme un ballon et m’appelle la nuit pour le porter à un spécialiste, la bête gesticulante dans une chaussette ! J’étais en moto, démarrage pas électrique, quand j’arrive au jardin des plantes avec la bestiole, le mec pousse un juron et coupe d’un coup de sabre ce qui s’est révélé être une vipère d’Amazonie !! Jacques à l’agonie, murmure: « j’espère qu’ils n’ont pas fait de mal a mon serpent » ! Un Jet est envoyé pour capturer une vipère similaire pour un vaccin et notre bonhomme Michelin est sauvé in extremis; il a perdu son procès, les vendeurs affirmant que c’était « un célèbre collectionneur de serpents venimeux » – (la Presse). La fameuse party destroy de son hôtel particulier était une bidonnerie amicale, genre « tu viens on casse tout »: les démolisseurs arrivaient le lendemain pour le raser et construire un immeuble, dont jacques avait un appart terrasse parking de luxe !!
Jacques Deloffre était un magnifique garçon, (fils des plâtriers Deloffre d’adorables ploucs nouveaux riches) à 18 ans il avait une Porsche, je l’aimais beaucoup et nous étions chaque jour ensemble, on marchait la main dans la main sur les plages ; il se tapait les filles les plus sublimes de l’époque, jusqu’au jour où, étant sorti, moi aussi, avec une canonissime beauté, il n’a pu s’empêcher de la draguer et de la chopper dans mon dos; ça m’a profondément vexé, et je ne lui ai plus JAMAIS adressé la parole… De toute façon, soyons cyniques, on n’allait pas suivre le même chemin, et il commençait lui aussi à m’agacer et à consommer de l’héro, que j’ai toujours fui. Il est mort il y a quelques années. Je le regrette toujours
Jean Pierre Jabouille est devenu le champion de Renault, très sur de lui déjà, de même que Jacques Lafitte et son pote Charles Gourou, que j’aimais, tué dans un accident de voiture à 20 ans. Charles avait lancé Playa de Aro, en Espagne, où sa mère avait loué une maison. Deux ans après tout ce qui comptait à St Tropez venait nous y rejoindre: Alix Chevassus – garçon admirable, Hubert Wayaffe d’europe1, tant d’autres ; c’était le paradis ! Alix que je ne côtoie plus depuis …40 ans s’était marié avec Maria Niarchos. Quand nous étions très amis, il sortait avec Françoise d’Orleac, sœur de Catherine Deneuve.
Alix me ressemblait, en plus grand et très beau, très en forme, exubérant, et je fréquentais mon premier grand amour : Joëlle, qui ressemblait beaucoup à Deneuve !
Nous formions un quatuor assez remarqué, avec l’incroyable Rolls ancienne qu’il utilisait parfois.
(Tout cela en 61/62: bandes du Scossa, Muette, et Drugstore).
Figaret était très mordant et assez prétentieux: la marque de chemise qu’il fabrique encore exprime bien son attitude, inchangée depuis les années 50. Jean Claude Deutsch, un très bon patineur et dandy, plutôt bande de Molitor, mais très en vue dans ce milieu, patinait les mains dans les poches, bogosse en plus, toujours bronzé, costards bleu, chemises blanches ouvertes; il y avait, dans un autre genre le fils Bernardin du « Crazy », Thierry Mendès France, James Arch – futur créateur du Bus Palladium, (il jouait et perdait beaucoup; très chic type, personnage total, il s’est occupé ensuite d’une nuée de boite genre Rose Bonbon ou Studio54 et finalement, après des faillites rocambolesques et impôts multiples, a eu des enfants magnifiques et vend « Hôtel du nord », qui était en fait un resto). Franklin Souami, (qui a démarré avec une valise remplie de mocassins d’Italie qu’il nous revendait ! Il est devenu millionnaire en créant la marque Sisley (chaussettes Burlington), écurie de courses ; puis schnouff (et perdition) … Jean Pierre Rassam (le futur producteur), était discret avec ses vêtements informes et marrons, une vieille Mercos; par contre sa force mentale et son assurance étaient assez impressionnants. (Rassam, avec qui j’ai eu des relations amicales, mais peu fraternelles, ne comprenait pas mon idée d’agence de photographes, « Photoka », montée bien plus tard, lorsque j’avais 24 ans, avec le fric d’un copain – en fait de son père, un tyran terrifiant qui me répétait toujours « fo pa enculer les mouches »! (j’ai mis longtemps à comprendre ce qu’il voulait dire.) Rassam avait raison ; ça na pas marché, mais il m’avait dit, à un déjeuner en tête a tête à la Coupole: « toi t’es trop dans le futur ». Lui était trop dans la came, mais il s’est quand même marié avec la sublimissime et jeune Carole Bouquet !! Je l’ai un peu revu aux fêtes chez Coluche, je les trouvais – toute cette bande – bien lourdingues…mais dans le genre costauds.
Lourdingues, vulgaires, apologie de l’ordinarité, beuveries, came, épaisseur, mais évidemment très riches, célèbres, voire géniaux !
Un jour je déboule chez Coluche qui sort avec 2 copines qui m’aiment beaucoup; fort de ce passeport, mon idée était de lui dire (on avait chacun un hôtel particulier voisin): » écoute, arrête de te déguiser en balourd sous prétexte que t’es gros et moche: tu es tellement génial, habille toi en cool, t’es beau gosse si tu veux, on pourrait bien se marrer ensemble »; il commence alors a me montrer tout ce qu’il avait acheté: meubles, tableaux, motos, bagnoles américaine (j’avais moi même des T- Birds et une Corvette et j’avais eu une Cadillac 55): le blême c’est qu’il commence a m’annoncer le PRIX qu’il a payé chaque truc! Au bout d’un moment, je pense qu’il se fout de ma gueule, mais pas du tout !! J’ai eu droit à une heure de tarifs, genre tas vu skejai !! Je ne l’ai plus revu : il est mort peu après; il sortait avec la petite Fred – qui épousera plus tard un sympathique ponte des média – somptueuse gamine qui, telle une comète, m’est toujours passé sous le nez, sortant avec mes meilleurs copains…aaargh ! : (Quart
de beurette, type italien, corps de déesse, caractère félin, c’était ce qu’on appelle communément un canon !)
Je l’avais filmée en vidéo avec ma ligne de Slooghy, cette seconde peau en taille unique(!)que j’ai créé : archi hot, un gentil succès ; elle dansait sur de la salsa, c’était en 79/80, en mâchant son chewing-gum avec sa bouche rouge vif, ses boucles de gitane et ses seins somptueux! J’avais mis une douzaine de télés dans mon stand, genre écran vidéo avant l’heure: les clients pensaient que j’étais marchand de T.V!
Elle était très influencée par la bande du 14eme, guidée par Michel Cressolle et Guy Hocquenghem
, intellos porte paroles de la gauchitude branchée genre » Libé »; tous un peu homos, qui n’aimaient pas ma Cadillac 55, me traitant de rupin de droite, enfin, Cressole m’appréciait, surtout sur la fin….Bref, lorsque Coluche s’est tué, la petite Fred (Choupette,) – dont tu as compris qu’elle ne pouvait que me séduire, m’a demandé l’hospitalité, car la vraie femme de Coluche avait fait irruption en la virant du jour au lendemain alors qu’ils vivaient ensemble…
Je n’aimais pas l’idée de profiter d’une opportunité si morbide, et j’étais avec une sublime et adorable beauté de 18 ans, Micky, un ange et un grand amour, qui vivait chez moi! Mais je suis une « sale bête » et toujours tenté par l’émerveillement: pourtant j’ai refusé, parfois j’y pense encore…
Je ne devrais pas dire ce genre de trucs. Le blême c’est que effectivement, il ne faut pas parler des vivants parce qu’ils ne sont pas contents, ni des morts qui ne peuvent pas se défendre, donc on parle de personne, ski en arrange beaucoup!
C’est sans doute pour cela que j’ai mauvaise réputation et tendance à ne sortir qu’avec des filles…merveilleusement jeunes!
Avis d’expert, humble élève de Casanova: seule une fille sur des milliers passe le cap des 30 ans (pour ne pas dire des 20!) Et parmi celles ci, surtout des asiatiques, qui, à parfois 45 ans passées, ont encore des gestes et des corps de nymphe; mais personne n’est parfait, et l’amour qui est c’est bien connu, un peu myope, permet de longues vies à ceux qui ont eu la chance de se rencontrer… de s’aimer de l’intérieur
Il y avait aussi au « Français » Steeve le géant, mon grand pote (qui était tout maigre), le Moustapha, avec ses dents en or, qui était un extra terrestre et qui volait un camion à son père pour nous amener en boum ! L’inaccessible Rodolphe dit « le chef », Alain Castille, qui n’était pas mon copain, était le James Dean arrogant et très mignon de l’époque: j’ai appris récemment qu’il joue au golf, et son ami Rodolphe est dans l’immobilier. Castille et Rodolphe, je les ai côtoyés pendant 4 ans. Je trouvais Castille remarquablement esthétique, on a réussi à ne JAMAIS s’adresser la parole, ni un regard ! On ne s’aimait pas et on était dans des cercles différents. Rodolphe était appelé le chef, parce qu’il était censé avoir autorité sur le petit groupe de ses proches: Figaret et autres. Encore une fois, je n’ai jamais été dans la « fidélité aux chefs » dans ces bandes, dont je n’appréciais pas l’extrémisme; j’étais avec les plus doux, (fins, drôles, et lucides).
Certains comme Christophe Cauchoix seront futurs organisateurs de concerts(KCP), Philipe Mirante , Philippe et Didier malherbes (futur « Gong » et héritier Formica!), avaient d’énormes motos, pas de casque à l’époque, vitesse illimitées dans une ville déserte aux rares autos, les frères Merlin (« 140 en moto rue de la pompe avec copines en amazone »), à cette époque étaient plutôt à la Muette/Molitor, ainsi que Michel Torok et Mercier ; un solide motard chicos. (Mais nous les retrouverons tous un peu plus tard avec une nouvelle vague, dans un endroit que nous allons lancer ; le Drugstore). Dedi Lecapitaine, qui m’a laissé un souvenir de balèze, comme jean pierre Zaccariasen dit ZACA ; un mec puissant qui a ouvert des années plus tard UPLA dans les halles et s’est marié avec ce sublime modèle suédois qui pose encore pour des produits de beauté. Il y avait un gars ; Archecovitch qui était au « Français », devenu richissime et homme de goût (avec les filles en particulier, nous avons eu bien des amies en commun). Un calibre, ce mec ! Un peu plus tard, Jean Claude Ordas, 1er arrivé, dernier parti: traineur permanent, bulleur apparent, en réalité études d’ingénieur en aéronautique genre Rafale ou autres: devenu millionnaire en fabricant des plans d’avions, il vit à Ibiza et déteste les branchés « ! José Gonzales était le plus élégant de tous: chaque vêtement était taillé au millimètre, genre pat d’eph « 35cm en bas /17 au genou » .Il avait une expression étrange, pour choquer et ça marchait: de temps en temps il criait: « vagin » et continuait ses histoires, il était très grand, avec une mèche raide qui tombait jusqu’en bas de son nez: (en réalité il était quasiment crépu et dormait donc avec de la gomina pour se lisser !) une autre expression de lui dont je me souviens: « col long, bon ; col rond, con! » (Pour les chemises). On est parti à Playa de Aro à 20 (mais c était plus tard, au drugstore). En fait je ne suis même pas certain que José était au Français mais c’était un mec avec lequel on était heureux d’être copains… Tu me demandes qui était le plus cool ? TOUS !
Moi j’étais un « voyageur », un hôte discret, une participation active certes, mais comme Deutsch, « je patinais les mains dans les poches ».
C’étaient tous des gens très surs d’eux, drôles, brillants, impossible de s’y tromper: imagine que tu sois avec, par ex, Françoise Sagan, Cocteau, Boris Vian et Sartre, en train de ricaner entre eux au Flore, on ne peut même pas se poser la question: ce sont des bidons qui se la pètent !!?? Là, dans un autre registre, celui de l’évolution et de la naissance de l’émancipation de la Société Française – aucun doute non plus: des vrais ! Ce sont des choses du passé: je t’ai dit, je suis un concepteur de tendances, je me suis « abrité » d’une bande à l’autre en une série de relais; je ne suis pas très précis sur les noms.
Par contre j ai pensé à ta question: en quoi ces mecs étaient ils si sûrement attractifs ?
Peut être parce qu’ils n’étaient pas ennuyants, en résumé,… et beaux, ce qui est un hommage au « divin laïque » que j’ai toujours recherché: des jeunes dieux brillants et indisciplinés ! Côté « voyous »: l’époque était aux boums, certains d’entre eux révélaient une nature assez « atillesque »: goût de la destruction, du sacrilège, haine de l’ordre de la bourgeoisie (dont ils venaient, pourtant…). Les flics, inéluctablement ne pouvaient que constater, et puis c’est vrai, que c’était surtout une partie de rigolade sans scrupules pour des gens et des choses qu’ils ne respectaient pas ! Certains sont devenus des délinquants chroniques, voire des gangsters célèbres ; Michel Ardouin, qui a écrit ses confessions de « porte-avion » dans son bouquin passionnant (« une Vie de Voyou ») et dont la sœur Catherine était une adorable copine de cette époque. Ce qui comptait : l’ambiance, les attitudes, l’émulation continuelle, le chic fou, les mots codés, l’amitié, la drôlerie, mais comment décrire ces rapports ? C’était ça, la « Bande du Français » ; et la musique, la danse, les fêtes permanentes: un nouveau délice, qui a évolué ensuite plus haut: le Mammy’s, premier « milkbar » (rue Washington ?) qui a fait le relais bien avant l’ ouverture du Drug, le Silène, (boite a danser), et enfin donc, quelques années après : le Drugstore, avec l’arrivée des plus jeunes, et la Muette, le Scossa place Victor Hugo, le Troca, pour les motos et plus friqués. Il me faudrait des mois pour détailler tout cela!!
Amaury Bargioni
Serge, ce n’est pas suffisant comme explication – pourquoi vous semblaient-ils comme de jeunes Dieux, c’était vraiment des calibres, ils étaient inaccessibles ?
Serge Kruger
Des calibres je t’assure! Très hors du commun, sortis de l’extraordinaire, comme m’en a complimenté des années plus tard, l’adorable Laetitia de la chanson de gainsbarre.
Disons que dans ces périodes d’ennui général, c’était une bouffée très attractive, amusante excitante, comment dire autrement : l’aventure urbaine, l’évolution des nouvelles musiques, des nouveaux comportements, des avancées dans les idées fraiches: d’ailleurs, pour résumer: les mecs au pouvoir en ce moment sont issus total des mecs des Champs en 58! Bolloré était proche de cette bande d’ailleurs!!
Quand je décris cette bande comme « inaccessible », ça veut dire que personne te parlait, on te calculait même pas, et du coup, le zèbre pas accepté (comme dans les troupeaux au fond), s’éloignait sur le trottoir d’en face, dans l’indifférence générale, tout en restant magnétisé: pathétique !
Ce qui pourrait caractériser cette bande en quelques mots c’est ; Evolution, avant -gardisme des attitudes, férocité des certitudes, audace, humour, énergie, désespérance, lucidité, et sans aucun doute un certain romantisme pour faire passer le tout. Oui, ces « vieux gars » (ils avaient 16 ans !) avaient – c’est certain, une absolue conscience de leur putain de supériorité par rapport aux blaireaux – dont le retour en masse est d’ailleurs inquiétant, ne trouves-tu pas ?
Amaury Bargioni
Serge, un jour, vous avez parlé d’un gars que vous n’avez jamais accepté dans la bande – vous ne lui auriez jamais « laissé traverser le trottoir qui séparait les exclus des inclus ». J’ai documenté , le magazine de la « gauchitude néo-hippy américaine et foutant sur la route (en France à la rue) des centaines de petits paumés naïfs qui ont cru en leurs jérémiades faussement underground et pensant que l’on pouvait vivre de l’air du temps, du chilum, du mythe, devant un certain magazine qui avait l’air si révolutionnaire et conquérant (merci les économies de papa) » – il semble que c’était « Actuel » et le gars Jean François Bizot (qui a créé aussi la Radio Nova). Pourquoi vous n’en vouliez pas ; trop ringard ?
Serge Kruger
C’est pas spécialement moi, c’est le groupe qui le faisait s’auto exclure: rasant, mal sapé, personne ne lui adressait la parole.
Il s’est vengé en passant rive gauche, puis gauche tout court et détestait les « blousons dorés » et ensuite les branchés, qui le lui rendaient bien. Même Pacadis n’eut droit qu’a des refus de sa part, Yves Adrien idem, et quand ma radio (« Tchatch », excellente mélomane) fut interdite et rayée d’antenne, il me fit « passer un test » (ça faisait 8 ans que Tchatch tournait)…
J’arrive donc comme un bleu avec 50 merveilles musicales, les met en enchainement, comme un con, il écoute, fait la moue, et dit un truc du genre « j’crois xa va pas être possibe »!, privant ainsi son auditoire de ma fabuleuse collection de 5000 vinyles de meringué, cumbias, rumbas etc., et de mes talents d’animateur (au profit d’un gentil ringard): merci l’hospitalité entre « radios libres »!
Par contre quand il venait à mes fêtes rue aux Ours, invité par des amis communs, il choppait les phones de mes copines…le coquin ! Moi, je ne le détestais pas: il était donc accueilli amicalement, et restait discrètement parmi les 200 copains hétéroclites de la soirée ! Sacré Zobi, il aura marqué son époque… Son conseil, Jean Rouzaud, qui est le seul mec au monde à t’expliquer au bout de 8 secondes, ce que tu allais peut être lui dire, m’aimait bien. Mais « le patron a dit non »!
Un jour, âpres un interview, un journal répète mon expression: « C’est des criminels sociaux » (rapport aux gosses envoyés « sur la route »)..
Il arrive au MILIEU d’une de mes soirées, (je mixais), avec 2 gros mecs pour « me casser la g… » pas le temps de finir que MES gros bras foutaient les troubles- fête dehors! (C’ était au Wepler, des Buttes Chaumont, une petite configuration assez chic et joyeuse) – j’ai réussi a attraper le fameux article, trop content d’avoir encore un peu de presse….Quand j’étais interviewé chez Nova, il faisait semblant de pas me voir..
Je ne dis pas ça parce qu’il est mort, franchement, je le trouvais plutôt touchant, au fond je l’aimais bien…
En fait tu peux constater que je ne suis pas très rancunier; mais il ne faut pas vouloir me la jouer à l’envers, ça m’agace ! En même temps j’en ai tellement rien à cirer de tous ces nazes, j’aimerais simplement qu’ils s’écartent de mon chemin, non par jalousie, ni parce qu’ils sont médiocres, mais parce que » derrière leurs sourire, brillent des poignards (William S) »…
Ce sont des loups déguisés en moutons.
Ainsi, Xavier Roy, qui était très amical dans les années Drugstore, fin du français: je l’ai revu il y a 20 ans, il m’a tiré une gueule dédaigneuse, pas un mot, très hautain: mékelmouchelapiké ,moiquilaimaittant…
Même attitude avec Guy Allard, héritier de la grande banque belge, grand dragueur éblouissant en 61 avec ses caisses de sport de luxe. On a tellement ri ensemble, partis à Eden Roc ou sa plage privée est 10 fois + grande que celle des milliardaires de l’hôtel à côté. Un jour, voila qu’il se marie en double page, bénédiction épiscopapale etc. (1 mois âpres sa femme fait annuler le mariage, ça lui a couté un maximax de chez max.) Mais moi, j’avais gardé les souvenirs géniaux, sa bonne humeur, sa gentillesse et disponibilité. Je le revois il y a 2 ans à l’hôpital Américain: il me tire une tête genre le Grand Homme gêné de saluer le gueux! Ah les bons copains de djeunesse …
En résumé: les grands mecs des années 50 – 60, que je ne calculais qu’avec la réticence d’un affamé rognant du pain sec, n’étaient bien que des fruits du début du 20e siècle, voire de la fin du 19eme: sur le plan de l’âme et du cœur, pas très grands; sur le plan de la vision vers l’avenir, plutôt brillants ; et de l’humain: minuscules. Et riches ! Ce qui ne fait, avec l’âge, que grossir les défauts ? Le plus touchant, le plus doux, le plus évolué d’entre eux : Philippe Debarge, le magnifique, s’est tiré une balle il y a quelques années. (Comme son père d’ailleurs, qui, ruiné par une sombre histoire de came et d’amour, embastillé comme une merde, lui, le grand Albert qui recevait sur sa plage personnelle de l’Epi, à st Tropdepez’ , Orson Welles, Vadim, Deneuve, Sagan, les Marquand, etc. Curieusement ill avait voulu me voir en privé, moi qui n’était rien, quelques jours avant de se suicider – de la même manière – je n’ai jamais compris cette volonté de rencontre, ou plutôt si mais, bon: il y aurait de la prétention à ce genre de modestie: quand tu es devant un grand homme qui a décidé de se donner la mort, quand tu analyse les mots qu’il a voulu te communiquer, c’est un peu le zéro et l’infini qui se croisent sous le banal d’une rencontre dont tu ne réalise que plus tard l’étrangeté cachée , ça m’avait bouleversé. J’ai eu plusieurs fois ce rapport bizarre et intime avec la disparition de personnalités importantes, un signe peut-être? Huguette Spengler, par exemple, qui me dédie sur son testament… son tableau portrait! mais pourquoi?
Eh bien je ferai ce petit portrait de cette personne extraordinaire, magnifique dragon de la vie poétique, amie de Pacadis, des punks, avec sa galerie Vivienne transformée en ville assiégée, aux diners bluffants ( archevêque en grande tenue, écrivains, travelos,et… sk, pas très à l’aise!): elle se tirait le visage avec des élastiques (elle devait avoir 80 ans peut être), une perruque pour recouvrir tout ça, et la dessus une peinture totale sur ses traits tendus: bouche en rouge vif, très gai, yeux en noirs, immenses, et couleurs sombres, magnifique! Elle ne pouvait plus beaucoup bouger la tète ni les lèvres, mais ne se gênait pas de donner des coups de pied à son « Moujik », un nain gesticulant qui était son valet (et, bien sur, son amant). Il faisait toutes les erreurs pour mériter ostensiblement ce traitement, et sa reine , jeune pour toujours, brillait ainsi des derniers feux de ses fortunes dissoutes (elle avait eu des collines entières sur la cote dans les années 20). Un jour que j’avais rendez-vous pour diner avec elle, j’arrive grossièrement en avance, et rencontre errant chez elle, une vieillarde aux cheveux blancs, avec cette étrange expression des gens qui n’ont pas leur dentier, les rides pendantes, je lui demande: » vous n’avez pas vu Huguette Spengler »? Elle me répond: « non, elle n’est pas LA …. »
Sa fille, Christine, qui venait à mes fêtes sur l’Ile aux Loups, était le contraire de sa mère: reporter de guerre mondialement respectée, elle assurait comme un homme en battle-dress. Le jour ou sa maman est morte, elle a repris (j’espère ne pas dire de conneries) le personnage ultra féminin et sophistiqué d’Huguette: attitudes, glamour, douceur… Elle venait danser à mes soirées, avec mon copain Philippe Warner, son amant, vêtu entièrement de blanc, et c’est bien la seule personne que j’ai vu assurer non-stop sur mon dance-floor à coté de ma superlativement brillantissime amante Lulla, qui vivait, elle, dans le groove permanent: 2 anges qui se souriaient en planant avec des loopings sur mon sol nuageux !
Amaury Bargioni
Laetitia vous dit ; « Tu es sorti de l’extraordinaire »! C’est une phrase qui tue ! Qui était cette personne ?
Serge Kruger
Laetitia devait être une ex égérie de SG; je l’ai rencontrée en 78, elle était encore assez troublante, il lui avait écrit cette chanson bien équivoque » elle a l’e dans l’a ».(leti Laetitia !). Bref elle m’avait sorti ce jugement: «toi, tu es sorti de l’extraordinaire »! C’était une petite beauté branchante, encore extrêmement jolie, qui m’a sidéré par son aplomb … Je ne l’ai plus jamais revue…
Amaury Bargioni
Mais pourquoi étiez vous « sorti de l’extraordinaire » ?
Serge Kruger
Je précise au passage que je suis toujours très troublé par la magie de cette beauté des nymphes, beauté dont la disparition parfois très rapide doit laisser leurs détentrices dans un très grand désarroi, c’est à cela que je pense d’abord avec cette Laetitia….
J’ai essayé de comprendre son expression: j’étais entouré de gens « extraordinaires », genre Yves Adrien, Jean pierre Kalfon, Castelbajac, les Frenchies ou autres personnages ; peut-être voulait elle souligner que j’avais franchi cette ligne, tout compte fait ordinaire à l’époque, de la singularité par l’excès? Cela m’a réconforté. Dans le même genre, Yves Adrien m’avait bizarrement qualifié d’ « arbitre timide de la branchitude » ; je n’ai pourtant jamais arbitré autre choses que ma maigre marge de choix, comme un rameur qui descend une grosse rivière torrentueuse…
« Amaury, ce qu’il faudrait, c’est essayer de donner la tonalité, avec cruauté et lucidité, de l’ignoble grande trahison qui a détruit tout l’underground parisien, au profit de la mondanité, au service des industriels dont il ne fallait surtout pas soulever la mortelle ringardise ; holdup sur la hype ! holdup sur les petits surdoués issus des mouvements innovants, victimes volontaires de la came et de la réputation snob, qui se sont fait kleenexer par les boites genre Palace, Bains, ou tout les plans « couture » des soi-disant créateurs à 10 smics l’oripeau ! Sous la caution de quelques uns de nos désemparés, peu sont restés fideles à leurs évidences de jeunesse, certains se vendent encore à la niaiserie institutionnelle, d’autres jouent les génies, etc. ; beaucoup sont morts d’abandon, de déception…(ou de fierté ?). Les « faiseurs » triomphent et se revêtent de nos dépouilles, de nos mots et expressions…ils revendiquent, genre « héros anciens combattants », la jeunesse déjantée qu’ils n’ont pas eue (ils préparaient leur avenir eux, les malins !)…
Pendant les bandes suivantes, mon but c’était surtout la recherche de l’amour, enfin, du sexe, avec les filles les plus branchantes, les plus libérées (et avec la bande des halles, peu de concurrence: tous à moitié homos). Et le fun! Et bien sur la sensation non négligeable d’être « top of the world »! Et aussi de pouvoir dormir jusqu’à 4h de l’après-midi, sans jamais vraiment travailler, ni être critiqué…
Par contre le pouvoir ni le fric ne m’ont jamais passionné… trop flemmard peut être, ou pas assez rusé! Ou bêtement…. vertueux, au fond?
Tu devrais sortir aussi de ces années 58, qui ne sont qu’un paragraphe épidermique de ma quête, sur mon long chemin! Ces demi mutants ont vite, avec leur majorité, retrouvé le confort et les manigances de leurs parents, tandis que d’autres vagues (encore plus drôles) venaient sabrer ces petites certitudes (en usant bien souvent de légers propulseurs: genre joints et autres)… Puis vinrent les « freaks », et là, ça rigolait moins, mais quel délire!
Mais ce sont d’autres noms, là par contre j’en connais un bout…ça ne t’intéresse pas ?
Amaury Bargioni
Taratata, vous savez bien qu’on va y venir… Vous définiriez comment les différentes bandes qui se sont succédé tout au long de ces années?
Serge Kruger
Le style des bandes :
« Élitiste ou pré-pop rock… » : 56 à 60
« Déjantés drôles et luxueux » : 61 à 66
« hippies et beatnicks» :64 à 70
« freaks et allumés»:70 à75
« branchés »: 75 à 80
« blackfusion »: ça c’est pour S.K de 80 à 86 : je ne vois que des africains
« réconciliation générale » (je remets ça avec les ex branchés +les blacks, beurs etc): 86 à 90
« bars à alcool » (au fond un « assommoir » joyeux): 91 à ….2007 !
« melting-potes » sur l’ile aux loups
Et « S.K » à titre très « solo » de 2004 à 2008: bandes regaeton, crunk, sexe , rires , gentillesse, amitiés, avec mes copines de banlioche genre 9.3 /saint Denis/ la Courneuve ! (ah les belles années…un peu dangereuses…)
Je m’en suis tiré par miracle: respecté par mes beautés, qui régnaient sur leurs bandes de mecs, ceux-ci avaient quand même de légers courts-circuits en voyant leur princesse sortir (et prévoir même de se marier) avec un mec… beaucoup trop vieux pour leurs mères !
C’était tellement bien! Je n’ai jamais été aussi joyeux, amusé, je me sentais beau, amoureux, « out of ». .Mais évidemment, ma princesse m’a plaqué, un jour, sans un mot ; je suis alors sorti avec ses copines, pour moins pleurer, puis tout s’est arrêté…quel vide.
Amaury Bargioni
Là, on va sortir les mouchoirs Serge…Mais il y a quelque chose qui m’intrigue, c’est la moue, la morgue. J’ai l’impression que cette attitude – l’arrogance, était un de vos principes. Je veux dire quelque chose peut-être, qui ressemble a du mépris pour les gens ordinaires … Un peu comme sur la vieille photo avec Dominique.G. Et lorsque Yves Adrien légende le tableau de Philippe Morillon ainsi (et c’était bien longtemps après « Le Français ») : « de Palace en parking et de Passy à Roissy, Sergio promenait sa morgue et son ennui »… Est-ce que cette attitude était une marque de fabrique ?
Serge Kruger
Je pense que la morgue, comme l’ennui d’ailleurs, est un état naturel, pas une décision : la nature est en évolution, les cons pullulent et s’y croient, que faire d’autre ? Seule la gentillesse, le rire, la danse aussi, supérieurs à toute critique, sont au-dessus… Avec Dominique, on avait tendance, c’est vrai, entre 2 parties de délire nocturne, à la jouer un peu lugubre: style néo punk, « no futur ». Mais cela c’était beaucoup plus tard. Et encore, on rigolait tout le temps (Voir les photomatons de Gilles Blanchard, Pierre et Gilles).
Par contre, les « vieux gars « comme tu dis, qui avaient 15/18 ans, au « Français » faisaient la gueule parce qu’un peu prétentieux et très dandys: programme vestimentaire très précis, a l’usage quasi exclusif de ceux « qui en étaient », et les jours de forme, avec une bonne décoloration en platine et un vieux fond de teint très seyant : plus la peine de sourire ! Un vocabulaire convenu aussi avec nos mots « pincés du nez » genre « chicos, ça craint, super, lapin (amical), coco (narquois), faire Blow » (se repasser une danseuse de 3/3/2). Et nos vestes à épaules étroites, cintrées, nos incroyables pantalons passés de 17cm à 35 !…
Amaury Bargioni
Bon alors, on est toujours en 1956/58. Les gars, ils sont forts en patin ? A ce moment-là, ils sont trop jeunes pour avoir des « caisses décapotables », ils ont des mobylettes ou des scooters. Je vois ça, il y en a tout autour de la terrasse… Ils sont en 3eme, 2eme, en 1ere (Gerson, Janson, St Jean de Passy, Franklin, La Tour, etc.). Donc, au « Français », il y a un va et vient constant. Vous échangez des adresses de boums et ça roule. Racontez-nous ça…
Serge Kruger
On était très forts en patins ,c’est vrai; debout à partir de 15 h, surtout le jeudi et le samedi , devant « le Français », alors période pantalons très étroits, pompes pointues ; remontées des champs (trottoir droite en remontant), visages qui deviennent familiers, esprit de légère rébellion hédoniste institutionnelle, très bon rock harmonique uniquement from US, respect mutuel, esprit de clan, et en gros on ne foutait rien, à part aller à la prochaine boum (bourse aux adresses, on vient de la part de x), et là, plutôt tendance au désordre (en fait recherche de la bordelisation marrante au mépris du rangement des appartements bourges, avec souvent la complicité ébahie des fils locaux, qui, ayant admis qu’ils allaient se faire très sévèrement démolir par leurs parents absents, en ajoutaient parfois …): ascenseurs détruits, horloges Napoléon ..Par la fenêtre ! Mobilier qui suivait … ébullition générale, concierge vitupérant et bloqué dans sa loge (c’est la que les plus actifs se révélaient, ébahissant tout le monde par leur pêche et leur audace: on était appelés, par la presse « les blousons dorés », on faisait peur !) et pliage de rire aux larmes, arrivée des flics, fuite et départ a une autre adresse, genre essaim de guêpes. Ou alors tranquilles: la musique est bonne, on est chez un ami, on danse (3/3/2: c’ est du rock « en ligne » et non comme les beaufs de grande famille maintenant de la « tourniquette » systématique: l’occase de montrer son feeling et son élégance,) et les slows pour « emballer », un baiser étant l’apothéose de cette époque pudique, parfois des caresses, surtout pas de liaison durable, complicité, légère admiration de l’aspect rebelle et délinquant de l’autre ; et rendez-vous à la patinoire: Rond-point ou Molitor , plus vaste, ou encore mais alors très technique et non branchée, celle de la rue st Didier (place Victor Hugo) ou j’esquissais mes premiers slaloms.
Pour assurer, il fallait assurer, toujours assurer ! En patinant, en dansant, en s’habillant, parlant, riant et dans les boums: en actions destructrices et drôles (pas pour les parents): sabotage, hordes, prise de contrôle de la fête (mais jamais de violences, tout au culot et à la pêche): je n’ai jamais ressenti de « méchanceté», ou alors genre « grimlins », dans ces exactions! Si l’ascenseur de l’immeuble s’écroulait et nous immobilisait pour longtemps, c’était du fun qui valait à son auteur quelques points à son palmarès. C’est dans ces situations « hyper actions » que ressortait la vigueur des plus coriaces: je préfère ne pas les nommer… On allait danser, à la fin au Silène, qu’on avait trouvé rue Pierre Charon: il y avait un juke box au sous-sol, c’était totalement délicieux, surtout l’après-midi ! Sinon certains allaient – parait-il- au « kilt »: jamais mis les pieds.
Pour les boums le scénario était bien rôdé ; départ en bande avec pseudo invitation: par exemple, chez Yves Rainier, (qui n’était pas au Français, mais rôdait à la même époque, place Victor Hugo-) toutes ces bandes communiquaient, on se connaissait un peu: Yves , futur commissaire Moulin savait déjà, à 16 ans qu’il serait un acteur célèbre, comme Deutsch qu’ il serait photographe a Match, et un autre qui m’avait annoncé: « je vivrai des intérêts de mes intérêts », (ce qui m’avait laissé songeur …). Donc Yves Raynier, par ex, habitait juste à coté de Janson, rez de chaussée, immeuble avec jardin ; et la 200 gamins, plus ? Musique : les 1ers 45 tours! Danse, délire, c’est chaud, c’est drôle, boxon total et au départ appartement relativement dévasté ! Un des points intéressants de ces « fêtes » c’est peut être que la mémoire n’en retient pas beaucoup, un peu comme le sexe et les orgasmes qui , au lieu d’être gravés à jamais dans notre cerveau (dieu aurait pu au moins nous offrir cela, petite compensation) mais non, du brouillard, des gestes esquissés, et après « post coitum corpus triste » les boums c’est un peu pareil, une grande partie de baise, quand on y est on préférerait mourir qu’arrêter tellement c’est bon, on oublie tout, on est LA, tout nos membres, regards, oreilles, esprit , sont en éveil, et quand c’est fini, une seule idée: que ça recommence ! Lecapitaine et les meneurs comme Patrice Letturc, étaient impitoyables, entrainant les autres, fallait que ce soit spectaculaire: tout était attaqué, bousculé, source d’hystérie, chaque action personnelle était un grade au mérite de son auteur, une bordée d’estime qui restait longtemps dans les conversations, et forgeait une réputation de héros rock and roll!!!
Patrice que j’ai revu me dire bonjour dans ma boite il y a 20 ans est devenu imposant et très prospère, c’était un grand costaud et souriant, à la Gabin, genre qu’il ne fallait pas chercher ! Il assurait très fort dans nos escadrilles …
Puis retour au lycée. Entourés du bétail transparent…quelques copains (on refusait de jouer au foot et on parlait en « javanais »). A Janson, les remarques des profs: « ce n’est pas la largeur des pantalons qui fait le bon élève… » blabla.
Le « bétail » se tenait à distance genre « ni bonjour, ni au revoir » .Parfois un rare copain qui m’invite : »passe à la maison j’ai une nouvelle batterie » (Didier Malherbes): accueillis par un maître d’hôtel en livrée genre chez Capitaine Hadock, 30 m de couloirs et au bout, matos de folie, sax, batterie, tenue marocaine et 1er joints (genre on est des artistes).Si j’avais su qu’un jour ça deviendrait une industrie…
On trouvait nos fringues dans les grands magasins, en fouinant: col roulés, cardigans (très grands), chemises américaines ramenées par tonton Leo de NY (le petit frère de mon père, américain, qui me ramenait plein de cadeaux et un peu d’argent) ou marché aux puces ; cols très longs, à barrettes (avec cravates), en nylon, le top !
Pour les souliers, Souami, sinon quelques copains achetaient des mocassins passables ou des Weston!
Pratiquement pas de jeans, rares, (c’est Manby qui proposa les 1ers jeans en France !), pantalons excentriques ou en flanelle (faits sur mesure chez de petits tailleurs) ou rétrécis,
Vestes des puces, américaines, ou chez Vog, bd des Italiens, ou « makina » blouson canadien écossais… Aucun magasin ne vendait ces choses groupées à cette époque, pas de spécialistes.
Montres : fausses plates revendues par James Arch. (petit trafic). Plus tard Renoma nous pompe tout ce qu’on chope aux puces et lance sa marque au carreau du temple.
Je m’habillais fashion, mais fauché et je devais piquer des fringues à mon beau-père (un mec pas méchant, mais tellement chiant).
Parfois mes semelles étaient trouées alors qu’il se payait des pompes de luxe ! J’avais eu une mob et une chambre de bonne au 2em étage (av Foch) et c’ est un miracle que je n’aie pas très mal tourné : j’étais prudent, un peu voleur, j’aimais la nuit et les copains qui rodaient sur les toits, dans les caves ; au fond j’ai eu une jeunesse très solitaire et triste, compensée par ces fameuses bandes si marrantes et quelques amis adorables (Yves Bergognon, un voisin, Sony Meeks, qui est devenu odieux quand sa sœur, une canon, a été l’amante d’ Ali khan: ils ne me parlaient plus! Sony est devenu tout d’un coup très distant, voire arrogant : je devais être trop prolo, ou anti rupin, pour ses nouvelle relations « royales »; de même Anoushka, sa sœur, rencontrée à cannes me dit, des années après: « mais keske tu fais à Caaanes, toi ? »
Yves B, par contre est un amour de mec, tellement gentil et souriant: je le vois encore (58 ans de camaraderie !) Et lui était resté très copain avec les Von Meeks (parce qu’il y a eu du « Von » après…: c’est la vie…). Et mes voisines, foutues comme c’est interdit, me faisaient des strips à leur fenêtre sur cour, et je n’ai curieusement jamais pensé au suicide, malgré quelques expériences destructrices, genre éther… Plus tard, vers 18 ans, je sortais avec Corine, un petit mannequin de chez Dior, qui venait me visiter dans ma chambre de bonne : une perle érotique, (très rare privilège à l’époque) et aussi Stella, un peu gitane, adorable et généreuse et puis les « rencontres » à la patinoire, des visages, pas toujours de noms, c’est un peu la nature des bandes aussi cet anonymat… même dans le flirt…
Mais les filles étaient rares: il y avait la fille de Jacques Esterel, ravissante, l’inoubliable bombe mammaire Geneviève Cottin (qui possède plusieurs restos maintenant et s’est mariée je crois à Jabouille ?), Martine Chipan, une sorte de Sagan, toujours là, adorable, plus tard Bianca – future Jagger, plus tard aussi Zouzou (la twisteuse) dont je suis tombé à genoux en courant après elle (au 1er regard), et enfin la sublissime future femme de Pierre Clémenti : Margaret, métissée de Viet, je l’adorais, je crois qu’elle m’aimait bien aussi !. Mais c’était beaucoup plus tard, en 62 tout ça. Franchement je ne pense pas à beaucoup de filles au Français !
(Encore une autre aventure, plus tard en 62, à la fin de la bande du Drugstore: la rue st benoit avec défilé de voitures tous les soirs devant le Malène et le Flore): j’y passais souvent avec ma Lancia mortelle, et avec Nico, qui écumait de rage que je me serve d’elle pour frimer (quelle beauté).J’avais connu Nico par Ivy Nicholson, géniale top model qui a quitté sa carrière pour la « beat generation », et m’a donné une place de photographe de mode chez « Womens Wear » – j avais 20 ans et ça m’ a permis de m’acheter cette fameuse Lancia ( avec sono et 45 tours !). Nico était sans doute une des ex plus jolies filles du monde. Ex , parce que déjà le temps la taquinait; elle avait fait du mannequinat, était sortie d’Allemagne, après des problèmes traumatisants, puis la Dolce Vita avec Fellini, un enfant, Bob Dylan, puis Andy Warhol qui l’impose au velvet !
Elle habitait à l’époque au dessus du commissariat du 16eme, et fumait de l’herbe du matin au soir dans une théière en bois qui lui servait de pipe. Son gosse, un bébé qui avait dit- on, un père trop célèbre, avait trouvé la même technique que moi à son âge: assis, il reculait à toute vitesse avec ses jambes et ses bras, et semblait avoir ainsi résolu définitivement la problématique et agaçante question du déplacement. L’inconvénient est qu’il ne voyait pas arriver les innombrables merdes qui parsemaient le plancher, où il chiait comme un clébard. Ambiance !
Nico, je lui servais, très volontiers de substitut à son vibro, quand il n’y avait plus de piles ! Nos sorties à St germain étaient un régal pour moi et un supplice pour elle: tout le monde nous regardait ! Déjà son but était, tel un chat sur un toit de verre, d’atteindre les hautes sphères aristocratiques de la poésie underground. On connait la suite – . Cela n’avait d’autre intérêt pour moi que le plaisir et la frime. Nico c’était : de rares relations, la came, et surtout « Elle ». Le reste elle n’en avait rien à cirer).
Pour revenir aux « vieux gars », il est arrivé quelquefois des rencontres avec l’autre grande bande: celle de st Lazare, redoutables lascars qui eux pratiquaient le coup de poing et étaient très hostiles à nous, des Champs, (mais pas de bastons devant le « Français » ou très rares, franchement: c’était considéré comme archi vulgaire). Socialement et éthiquement aussi- encore une fois nous n’étions pas que des fils de familles, certains allant d’une bande à l’autre – et moi-même, fréquentant déjà l’équipe du Trocadéro, très grande snob, en motos, avec la Muette qui se dessinait, rue de la Pompe pour les pointes de vitesse ! Et des boums plus chics et cordiales, très privées ! Encore une fois ils me distrayaient tous, et pour moi c’était tous des faux amis (qui n’est plus ami ne l’a jamais été !). Mais ayant déjà pratiqué le séchage des cours systématique et la vie nocturne (à ne rien faire si ce n’est quelques virées dont je préfère ne pas parler) c’était la un univers de transition excitant, vers l’espérance d’un avenir meilleur.
Amaury Bargioni
Comment se termine le Français ?
Serge Kruger
La fin du français, c’est le Mammy’s: tout le monde s’y retrouve, ou sur le trottoir à sa hauteur,
et les patinoires qui étaient les boites de l’époque: musique extra et très forte et patinage sur les rythmes (idée reprise des années plus tard ,en 79, au sous-sol du Palace, puis a la Main Jaune porte Champerret, par le patron de la main bleue ou j’ai donc fait mes débuts de dj -avec Djemila comme Co-DJ (photo) et sublime égérie , ma meilleure amie, muse géniale, la meilleure danseuse « all night long »…photos, et écouter la chanson que Guidoni lui a consacré !
(En 1971, il y a eu mon appart, rue aux Ours qui est devenu un vrai lieu de rendez vous, dans les années 71 à 76 (freaks and C°) ! Kalfon, Clémenti, Adrien, Zermati, Castelbajac, Poiré, Pacadis, etc.…Puis « les halles, ses lieux d’habitués, le Royal Mondetour …toute la « bande des halles». Et après les boites, Le Palace, la nuit, toutes les nuits, un univers particulier ou se fondaient également les origines, les générations, les races, les sexualités, lieux aussi ou se retrouvaient un monde a part avec ses moments de magie impénétrables aux voyeurs et aux « straights » (avec des monstres parfois, comme Thierry Paulin, ce tueur de vieilles dames, si charmant la nuit venue dans les clubs.)
Mais on revient en 1958 : Ma mère me colle en pension pour que j’aie mon bac: un délire, lampe a bronzer dans les chambres et l’Algérie qui attendait ceux qui n’auraient pas de sursis d’études…brrr).
Je quitte ce paradis mal venu pour me coller chez Pollès, boite à bac, 15h par jour, et décroche de justesse cette épreuve : ça me sauve la vie : pas de départ à la guerre…
Et, en 1960, le Drugstore ouvre ses portes en haut des Champs. On se retrouve là comme des abeilles : le gout de l’essaim ! Et surtout, le drugstore est totalement génial et révolutionnaire: enfin un nouveau concept d’espace public, vaste, varié (plein de différents plans, de la pharmacie aux gadgets) et des attitudes nouvelles : libre d’accès ; ainsi que les meilleures glaces de l’époque: aah, les vanilla fudge, les banana split, (et les avocats aux crevettes: nouveau tout ça à cette époque)
Avec son grand trottoir devant, les nouvelles générations viennent se fritter à nous, ainsi que, géographie oblige, les mecs de l’ouest: Muette, Troca, Scossa. C’est la plaque tournante de Paris; on y voit arriver Marc Zermati, futur fondateur de skydog, jean pierre Lavigne, Jouffa , Ronnie Bird, Guy Senghor, Jean-Marie Poiré , Boris Bergman, Gérard Manset, Michel Taittinger, Benoît Jacquot, Martine Simonet, Marc Porel – la liste est trop longue. Je tombe donc amoureux de la sublime Margaret, suis à genoux devant Zouzou (je cours après elle, elle me prend pour un fou) et les sœurs Roubinovitz (Sylvie dont on était tous dingues ; une merveille assez mystérieuse, et Claudine -future Wayser – belle et gaulée, si drôle et brillante). C’est l’épanouissement de la mode patte d’eph et vestes cintrées à épaules étroites, reprises par Renoma, qui quitte le carreau du temple pour s’installer rue de la Pompe; bref ça bouge un grand coup, on s’est délocalisés, changé de côté des Champs, sorti du couvercle « gang de rebelles » pour s’ouvrir sur l’universel: c’est ça, le Drugstore, c’est l’ouverture à la fin du 20e siècle, tout le monde est libre, jeune, beau, pêchu, marrant, amoureux enfin (disons que le sexe commence à se pratiquer couramment) .Les « michetons » homos commencent a draguer ouvertement les « minets du drugstore » avec leurs caisses de sport, qu’il est de très bon gout d’avoir le privilège de piloter, moyennant quelques pelotages ; serait- ce le début de l’éclosion de l’homosexualité ? On allait le soir au Fiacre, boite homo à st germain : on y faisait des rencontres surprenantes, vie privée oblige…
Moi, mon grand copain et protecteur d’alors s’appelle Alan Graham, styliste américain tellement charmant et gentil, drôle, il ne m’emmerde pas et me présente au « tout paris » mondain et hype: la famille Guerrand Hermès, Guy Montréal dont la sœur Hélène – très jolie, devient mon « flirt » officieux, Ariane Dandois, tellement marrante, avec qui je danse le twist des nuits entières (au king club, puis chez Régine, à coté de l’odéon).
Jacques Deloffre lui, est décidément très copain avec jean Berdun, quadra en T-Bird qu’on « pousse » av Foch, à 5 dedans ! Michel Meyer qui lui est carrément entreprenant (quadra également) a une réputation de « vrai pd » mais on l’aime tous, il est pas méchant. C’est là que les Rassam et autres business boys commencent a mijoter leurs coups, et le jeune Serge voit enfin des gens joyeux, intelligents, gentils: Alix Chevassus et ses copains très parisiens (Debarge , Courcelles, ça part dans tous les sens: du plus célèbre au dernier des zozos du moment qu’ils sont dehors, marrants !).
Je fais des photos (mais hélas, pas de nos bandes) et deviens bientôt l’assistant du seul et unique patron de ma vie: le brillantissime Jean jaques Bugat, photographe de mode à Vogue ; les tops model me font des câlins, et là rencontre avec Monica de Baleine, copine d’Ivy Nicholson … J’en profite pour sortir avec sa fille et avec toutes les petites canon qui flirtent et déjà passent le cap du plaisir, des heures de baisers pour un effleurement des doigts, mon dieu que c’était bon d’avoir 18 ans en 1960 …
Mon projet de « face book de la danse et du bonheur », Aristocratie Populaire, inclut des vidéos de danse: c’est, 49 ans plus tard, Jean jacques Bugat lui même que je retrouve, qui adore le concept, et doit filmer les prochaines « princesses du dance floor » !! La boucle serait- elle bouclée, ou aura t’il fallu tout ce temps pour que mes idées, jugées souvent comme « cheap », voire vulgaires, atteignent enfin la reconnaissance de génies égarés comme JJB ?
Le Drugstore, je viens de l’évoquer, était beaucoup moins « fermé » que « le Français » ou le « Mammy’s »; pour moi en 63, c’était « fini », au sens magie nouvelle d’un endroit nouveau; pour les jeunes, j’imagine que « ça commençait »….
C’étaient les p’tits gars de la 2eme période, c’est disons ; les bleus, quand les nouvelles générations se sont pointées la bas: peu de temps après, mais ils n’étaient pas sur le même feeling: tout se démocratise, non ? C’étaient devenu « les minets du drugstore ». Nous, les anciens, l’équivalent des « blousons noirs »….en doré, on les regardait avec un peu d’ironie et beaucoup de condescendance – eux avec admiration, (on était une légende, pas vrai…) : vieux comme le monde.
C’est une époque charnière ; le Drug devient l’épicentre de toutes les bandes, un passage. Les mecs puissants sont alors ceux qui partent en Espagne ensemble, en caisses de sport, qui vont rue st Benoit le soir, et surtout: sortent dans les 1eres boites : Castel, génial ! Régine ; moins. Qui ont des aventures de sexe et d’amour, prennent des apparts à plusieurs, fréquentent des amis riches. De 60 a 62, les restes du « Français » font groupe a part au Drug. Certains vont à la Muette (caisses), d’autres au Scossa ; la NUIT commence à Paris, et ne finira qu’en 88, avec les boites comme les Bains, le Tango! LA NUIT est le nouveau creuset de la fête et des libertés au melting à la fois élitiste et universel.
En 63, j’étais depuis 2 ans en dérapage sur Castel, les mondains hype, st germain la nuit. Le drugstore était devenu un endroit sympa; mais de passage et avec une portée anecdotique.
Ceci dit ça frimait encore un max, mais ils étaient tellement nombreux, qu’ils décidèrent eux même de s’exporter vers le new store, et l’Elysée store, concurrents de 2eme classe, plus bas sur les champs …
Les années Castel ! LA boite la plus authentique du monde, ou se croisent Orson Wells, Vadim, voyous géniaux et mutants de toutes sortes avec une règle : entrée exclusivement réservée au « feeling people », rois du pétrole et autres crapules refusés par l’imperturbable Huguette, et bifurqués fissa chez l’ignoble Régine, ou règnent fric et vulgarité des milliardaires et de leurs rejetons (et rejetés). Merci maitre Castel généreux et distant patron du paradis, qui acceptait des petits désempares comme moi pour pas un rond.
Je fais alors partie de cette nouvelle « chevalerie »: après l’élite des mobs à 14 ans, j’ai enfin un cabriolet de sport !! On n’était pas nombreux à cette époque, à se déplacer ainsi… Cette autonomie nouvelle nous entraine à de nouveaux espaces: aller du drugstore à la muette, puis à st germain: en quelques MINUTES! (très peu d’embouteillages: on se gare là ou on va!). On finit par privilégier d’autres relations qui ont eux aussi «une caisse »…
Nous sommes si libres, si différents, tout est si facile quand on a 21 ans et une voiture décapotée pleine de musiques (là par contre j’ai une photo du petit con souriant que j’étais dans sa belle toto!).
Nous étions devenus: la « bande des cabriolets », avec un autre souvenir, un peu plus tard, je revois encore la scène ; au petit matin, en sortant de chez Castel, les rues sont vides, mon copain Philippe Debarge, qui me jette à la volée les clés de sa Ferrari California, pour s’engouffrer dans un taxi avec une petite qu’il venait de draguer et qui allait peut-
être lui échapper..Une Ferrari Californa modèle spécial bleu ciel, il faudrait avoir une soucoupe volante aujourd’hui, pour dégager une telle énergie…
Serge Kruger
Bonjour,
Pourriez-vous svp me contacter à propos de Philippe DEBARGE ?
En vous remerciant,
Brice BARON
bien expliqué , excepté quelques détails ! manque nos voitures anglaises et italiennes de sport ,une healey 3.000 en ce qui me concerne ! , nous n ‘étions effectivement pas des anges ! ,un coup de fil des parents nous sortait de biens des problèmes ! nos filles ,étaient sublimes ! et surtout le cout de la vie était pas chère , après en 63 64 , nous avons étés débordés par les : petits frères qui allaient devenir les minets , le temps des voyous fils a Papa , des blousons dorés était fini !nous avons émigrés a st germain et ou retournés au scossa , la muette etc ! votre article est de très loin le meilleur , le plus réel sur cette époque de début des années 60 ! compliments !
Merci pour le compliment sur l’article, il y a là quelques points d’histoire contemporaine qui tiennent trop à des détails pour ne pas tourner à la légende, et dans la légende il n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Rien ne vaut bien sûr le témoignage direct tel que le vôtre. Votre caution est précieuse, merci d’avoir pris la peine de l’apporter.
Excellent article,que de souvenirs
Tu as oublié ma jag xk120 et ma Lancia aurélie Nardi et notre âge au Montana avec mon copain Baudouin Gabert,delon et Miguel ferreras.
J’aimerai bien te revoir
Michel torok
Je prépare un livre sur mon compagnon Slavik, l’inventeur des Drugstores. Comme vous le verrez sur FB, je suis à la recherche de documents témoignages, etc concernant Slavik.
Votre témoignage sur le Drugstore des Champs ci-dessus me plait beaucoup. Auriez-vous des éléments complémentaires ?
Bien cordialement,
GCD
Madame,
Avant toutes choses, je tenais à m’excuser sincèrement pour le retard de ma réponse. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas vu votre commentaire et je ne le découvre que maintenant. Je vous remercie au passage pour vos compliments qui me touchent.
Je n’aurai moi-même pas de renseignements très précis à vous donner à son sujet mais en revanche je connais une personne qui l’a bien connu. Si je peux vous aider en récoltant des informations ou anecdotes, ce serait avec grand plaisir. Je me tiens donc à disposition.
Sincères salutations,
S.A
Petit détail :
Pourquoi le nom des Marinettes ? Le tailleur Marina (des années avant Renoma) à qui on commandait tous des pantalons sur mesure avec une largeur du bas de la jambe de 22 cm, ce qui paraissait très large à l’époque, les débuts des pattes d’éph, était situé dans une petite boutique de la rue Vernier, Paris 17ème.
Monsieur,
Très honorée que vous ayez pris la peine de lire mes quelques lignes sur ce sujet qui me tient à coeur. Merci infiniment d’avoir pris le temps d’aller y ajouter ces éclaircissements précieux qui donnent de la réalité au modeste « croquis » que j’ai tenté de faire d’une époque qui fait tant rêver…
À vous,
Suzanne Ably