La bande du Drugstore
27 sept
Rendons à César ce qui lui appartient, et des éléments précis à la vérité historique.
Le patte d’éph’, qu’on attribue à tort (et de travers) au hippie de Hair ou de Nanterre, c’est « elle » qui l’inventa et l’imposa.
Elle ? La bande du Drugstore. La vraie. Pas celle des livres et films qui ont chanté sa geste, mais celle des origines, qui se réunissait au tout début des années 60 devant le drugstorePublicis en haut des Champs-Élysées. Elle ne comptait que quelques membres triés sur le volet.
Appelés d’abord « marinettes » (du nom d’un tailleur du Sentier, Marina, auquel il fallait apporter son tissu), ces fils-à-papa ultrafriqués, issus des bandes du Seizième et de la Muette, sévissaient à quinze ou vingt dans le triangle d’or Passy, Étoile, patinoire Molitor, avec quelques stations au Scossa, place Victor-Hugo.
Leur règne fut, durant un temps, absolu, aux extrêmes pointes du territoire de la mode. Avec pour seul et unique programme de la journée : préparer la soirée.
Ils furent les tout premiers cheveux longs, scandaleusement longs – aussi longs que ceux des filles – beaucoup plus longs que ceux des Beatles, qui n’allaient se signaler peu après que par une assez courte frange, à y bien regarder.
Leur sport et leur défi ? S’introduire chaque soir dans un maximum de boums. Leurs sésames, grâce auxquels (après négociations) ils pénétraient ? L’élégance et l’insolence. Et aussi, une absence totale de scrupules. Au besoin, la porte était forcée.
Du reste, qui eût refoulé ces sveltes jeunes gens, beaux comme des dieux, au faste capillaire sans égal, sapés comme des milords, costard cintré, veste à deux poches à gauche, épaulettes ajustées, pantalon évasé sur mocassin Weston, cravate club, chemise en oxford. Leur mèche avait un retombé unique, leurs mouvements une grâce féline et leurs Ray Ban une authenticité à faire pâlir d’envie les franchouillards.
La maîtresse de maison, vaillante lycéenne de Molière qui avait réussi l’exploit de chasser ses parents pour la durée de sa surprise-partie, ou « sur-patt' », ne tardait pas à le regretter. Les crinières soyeuses et les costards sur mesure n’abritaient pas des enfants de chœur. Bien que ne touchant pas encore aux drogues qui déchaîneront leurs successeurs pré-soixante-huitards, les marinettes n’hésitent pas à se mettre à plusieurs pour violenter, voire violer une fille. Quand ils quittent les lieux en quête d’une autre boom, c’est après avoir fait les sacs, pillé les tiroirs et vandalisé le salon.
Pour payer leurs achats chez ce qui ne va pas tarder à s’appeler Renoma, ces jouvenceaux se livrent au trafic de tabac (Amsterdamer) ou d’armes (le drame Éric Malan, à Janson de Sailly, est d’une actualité encore tiède).
Voilà : le minet du Drugstore, fils de ministre ou de banquier à hôtel particulier rue Desbordes-Valmore, n’est pas quelqu’un de recommandable. Il n’ a rien inventé, sauf une panoplie qui sera imitée. Il ne fait pas grand-chose, à part dépenser son argent de poche au Mars Club de Nancy Holloway ou au juke Box du Silène, bar branché proche des Champs-Élysées. Il n’a pas de spécialité bien nette, excepté sa façon absolument magistrale de danser le « trois-trois-deux », dérivé du bop, avec les filles de sa bande, qui sont trois fois plus belles que celles qu’on trouve sur place, six fois plus antipathiques aussi, mais vingt-cinq fois plus libérées. C’est un voyou, donc un ravageur, avec ce petit quelque chose qui va faire de lui une légende, laquelle inspire aujourd’hui cinéastes et romanciers dont la documentation pèche souvent par un peu de flou.
Comme le chantaient les Teddy Bears ou Fats Domino, qu’ils écoutaient pour se reposer d’Elvis: To know know know him is to love love love him…
S.A